MARTIGUES, VENISE PROVENÇALE, A FAILLI SUPPLANTER TOULON
Martigues, « la Venise Provençale » était installée sur une île…
Pour vous mettre dans l'ambiance de cet article...
C'est tout trouvé puisque Alibert a si bien chanté la Venise Provençale !
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Lors des solstices d'été 2023 les « Séniors dans le vent » sont allé découvrir Martigues, « la Venise Provençale », et le canal de Caronte.
Ce « chenal », plutôt, orienté Ouest-Est, mène de la mer où son entrée est fièrement gardée depuis l’antiquité par la « Tour de Bouc », à l'étang de Berre, côté île de Martigues, l’étang d’eau salée le plus grand d’Europe !
Carte de la « Mer de Martigues », soit, l’étang de Berre dressée au XVème siècle.
Il est vrai que depuis la plus haute antiquité, Martigues doit son existence à la position stratégique et la richesse économique du village situé sur une île à la sortie du chenal qui relie la mer à l’étang de Berre et qui avait permis l’installation de marées-salants pour l’exploitation du sel et la pêche des poissons qui empruntaient le chenal, dans un sens ou dans l’autre.
Carte de l’étang de Berre, Martigues et le canal de Caronte au XVIème siècle…
Mais le petit village s’est rapidement agrandi et comme l’île ne pouvait accueillir tout le monde, il a bien fallu s’installer sur les deux bords du chenal.
Ce sont donc trois villages qui se sont ainsi développé les uns à côté des autres.
Ainsi, sur la rive nord, s’est installé le village de « Ferrières », et sur la rive sud « Jonquières ».
Comme il se doit chacun des villages a construit son église, et curieusement leurs trois clochers ont été alignés.
Les villages de Ferrières, l’Isle et Jonquières ne font plus qu’un, Martigues avec la Tour de Bouc à l’ouest
Plan du site du Canal de Caronte avec Google Earth
Au moyen-âge, le chenal était peu profond… Cinquante centimètres tout au plus aux endroits où les bancs de sables n’empêchaient pas la navigation des barques de pêcheurs à fond plat qui se faufilaient entre les bancs.
Mais au fil des siècles ce chenal a été dragué et sa profondeur n’a cessé d’augmenter par draguage au fur et à mesure des besoins, passant d’un mètre à l’époque d’Henri IV, à plus de deux mètres pour permettre le passage de barges de transport dans l'étang de Berre.
Dans le chenal en aval, un astucieux système de nasses en bambous nommé « Bourdigues », dont la première avait été mise en place au XIVème siècle, du temps des Papes d'Avignon pour l'approvisionnement du palais, permettait une pêche fructueuse en profitant du courant qui existait naturellement entre la mer et l’étang dans un sens du fait des faibles marées de la méditerranée, et dans l’autre du fait de l’approvisionnement de l’étang en eau douce par le réseau des petites rivières qui s’y jetaient.
A gauche, Peinture anonyme d'une Bourdigue de 1790 dans le canal de Martigue
(cf. la flèche bleue sur la photo de G. Dufrène - Musée Ziem),
à droite, Schémas de fonctionnement pour capturer les poissons, lorsque le courant venait de l'étang.
Maquette d’une « Bourdigue » (nasse à poissons)
Les poissons de mer gagnaient l’étang pour s’y nourrir et s’y reproduire entre mars et juillet et ils repassaient de l’étang vers la mer vers la fin de l’été. Les pêcheurs se frottaient les mains, car ils étaient pris dans les « Bourdigues » et il n’y avait plus qu’à les récupérer avec une épuisette.
Chaque « Bourdigue » permettait ainsi de piéger jusqu’à 4 tonnes de poissons à chaque pose, bien plus que la pêche au filet !
Isle de Martigue (sans S) au XIVème siècle.
Après avoir été une Baronnie en 1354, puis un Vicomté en 1473, le plus souvent aux mains de la maison d’Anjou (vous savez, l’Anjou dont est originaire le bon Roi René, qui avait installé ses pénates à Aix-en-Provence), Henri III, Roi de France, a érigé Martigue (sans « S » jusqu'à « l'Acte d'Union » réunissant les trois villages en un seul qui a pris alors le nom de Martigues avec un « S » !) en « Principauté » dès 1580.
C’est son beau-frère, Philippe-Emmanuel de Lorraine, qui devint le premier « Prince de Martigues » en épousant l’héritière directe de la Vicomté, Marie de Luxembourg.
Résultat d’un long processus de remembrement territorial, la « Principauté de Martigues » constituait une ensemble féodal homogène autour de l’étang de Berre, dont la maitrise des ressources assurait des revenus confortables.
Au XVIème siècle le chenal a été creusé à 4 mètres pour permettre aux navires à voiles militaires de s’abriter dans l’étang de Berre et on a dû munir l’un des deux passages de l’île d’un pont levant à bascule pour leur permettre de pénétrer dans l'étang.
La « Principauté de Martigues » revient d’abord aux plus grands noms de Lorraine et de Bourbon-Vendôme, les ducs de Vendôme. Le dernier d’entre eux, Louis-Joseph de Bourbon, hérite de la « Principauté » en 1669… à l’âge de 15 ans !
Il devint par la suite l’un des plus grands généraux de la fin du règne de Louis XIV. A l’instar de son roi, et surnommé « le Grand Vendôme », il fût aussi l’un des Princes les plus dispendieux de son temps.
À tel point que la « Principauté de Martigues » eut à pâtir de sa prodigalité et fût démembrée en 1702, de ses plus belles terres.
En 1714, après une longue bataille de procédure, le Maréchal de VILLARS, père de France, nommé Gouverneur de Provence, a acheté la Principauté qu’il n’eut de cesse de rétablir dans son intégralité territoriale. Il l’a transmise juste avant sa mort en 1734 à son fils, Armand de VILLARS ; puis, faute de descendance, les droits et titre de « Prince de Martigues » ont été vendus à Louis-François de GALLIFFET, l’un des Mousquetaires du Roi nouvellement enrichi par son mariage (bien que cette charge ait été supprimée en 1775 par le ministre de la Guerre), dont la famille a tout de même donné 4 Gouverneurs à la Provence, qui était connue par sa devise originale « Bien faire et laisser braire ! ».
À la veille de la révolution, la « Principauté de Martigues » apparaissait comme le fief le plus considérable de Provence, qui regroupait plusieurs milliers d’hectares autour de l’étang de Berre qui accordait ainsi à la famille GALLIFFET, sur les eaux du canal de Caronte, un droit abusif, à l’origine de nombreux conflits avec les pêcheurs de Martigues.
Malgré la Révolution et l’abolition des privilèges, la famille GALLIFFET a continué de revendiquer le titre de « Prince de Martigues »… et l'a conservé jusqu’au début du XXème siècle.
Le draguage a enfin été porté à 10 mètres au XIXème pour permettre aux navires de commerce de passer dans l’étang de Berre autour duquel a pu s’installer tout un complexe industriel… mais qui, hélas, depuis, a quelque peu pollué l'étang ! Mais nous reviendrons sur ce point.
Enfin, les « Séniors dans le vent » ont eu la chance, et la surprise, d’être les premiers à étrenner « La Posidonie », la toute nouvelle vedette électrique qui va assurer la navette entre l’embarcadère de la mairie de Martigues et celui du « Fort de Bouc » distants de près de 10 Km.
La toute nouvelle vedette électrique « La Posidonie » qui assure la navette Martigues-Fort de Bouc.
On aperçoit l’île de Martigues et l’étang de Berre au fond
Lors de 30 minutes d‘un agréable parcours absolument silencieux et non polluant, nous sommes passés sous l’immense pont de l’autoroute qui enjambe aujourd’hui le chenal avec une arche centrale de 130 m de long à plus de 45 m au-dessus de l’eau, pour laisser passer les pétroliers et les cargos qui vont décharger leur fret autour de l’étang de Berre.
Le long pont autoroutier 45 m au dessus du canal de Caronte.
C’est par là notamment que passe la barge qui achemine les éléments du « Tokamak » d’ITER à destination du centre nucléaire de Cadarache.
Puis nous sommes passé sous le vieux pont du chemin de fer construit en 1908 seulement, avec son tablier tournant qui laisse passer les navires en hauteur bien que la mise en place de la voie de chemin de fer d’Arles à Marseille en passant par Port de Bouc, date de 1859 pour l’exploitation du sel et de la soude des salins de Giraud…
Le pont tournant en «T» (construit en 1908) du chemin de fer Arles-Port de Bouc-Marseille datant lui, de 1859 !
Nous avons ensuite traversé de part en part le port pétrolier de Lavéra installé là depuis 1920 dont les quais, à l’Est accueillent aujourd’hui des pétroliers et méthaniers approvisionnant la raffinerie de BP.
Habituellement, on ne peut pas s’en approcher car il est situé en « Zone Seveso » hautement protégée pour éviter des explosions accidentelles (il n’y en a jamais eu fort heureusement à Lavéra, précisément à cause de ces précautions drastiques !)
Le port pétrolier de Lavéra en zone SEVESO.
Et, à la pointe ouest du port, nous avons enfin pu voir se dessiner la silhouette de la « Tour de Bouc » et ses fortifications.
Et on arrive au fort de Bouc par son tout nouveau débarcadère conçu pour recevoir « La POSIDONIE ».
La Tour est en effet située sur l’île de Bouc (en l’occurrence « bouc » veut dire « bouche » i.e. au débouché du chenal) que fort peu de gens connaissent, hormis les plaisanciers qui la repèrent de loin au large, car cette tour supporte le « phare de Bouc » qui marque l’entrée du canal de Caronte (Pour les esthètes navigateurs, avec une portée de 12 milles, il est repérable par 2 occultations de 6 secondes et trois secteurs de couleur, car il balise également l'entrée du chenal pour les cargos et tankers).
Mais, étant en plein milieu de la « Zone Seveso », l’île était absolument interdite d’accès depuis plusieurs années, jusqu’à ce que la mairie de Martigues ait décidé, il y a quelques mois, de se doter d’une vedette électrique spécialement conçue pour cela, afin de pouvoir faire découvrir ce trésor du patrimoine militaire et permettre ainsi aux touristes de visiter le fort en toute sécurité.
Les « Séniors dans le vent » ont donc été les premiers passagers à en profiter !
De fait, depuis l’antiquité, l’entrée du chenal a toujours été défendue contre les envahisseurs venant de la mer.
Cette entrée, située stratégiquement sur la côte entre l’embouchure du Grand Rhône à l’Ouest et le port de Marseille à l’Est, a été défendue dès le Moyen-Âge par une tour construite sur une toute petite île, non seulement pour supporter un phare qui la signalait aux navigateurs mais aussi pour surveiller les navires qui arrivaient de la mer.
La Tour de Bouc, au XVIème siècle côté terre, et aujourd’hui côté mer…
Vers 1230, Raymond BERENGIER V, Comte de Provence, est venu fonder « l’île de Martigues » alors que la ville de Marseille tenait l’île de Caronte qui contrôlait l’accès à l’étang.
La ville y a fait construire « le Castel Marseillais » qui deviendra le « Fort de Bouc ».
Après une période de conflits et aux termes d’un accord commun, Marseille a abandonné pour toujours ses droits sur le château de Bouc, dont le sort fût désormais lié à celui de Martigues.
Maquette du Fort de Bouc (Musée de la mairie de Martigues)
Trônant sur l’île, la Tour de Bouc a servi, depuis 1840, de logement au gardien du phare du « service des phares et balises ». Le phare qui la surmonte à une hauteur de 32 m au dessus de la mer a été automatisé en 1998, et plus personne ne demeure sur l’île, depuis.
Le Phare de la Tour de Bouc à 32 m de hauteur au dessus de la mer.
La tour carrée médiévale du Fort de Bouc, et ci-dessus les « Séniors dans le vent ».
Équipée de défenses fortifiées au cours des siècles elle était devenue le « Fort de Bouc » qui est l’un des rares témoins demeurés intacts de l’art des ingénieurs militaires français.
Construites autour de la tour carrée médiévale, les fortifications bastionnées, sont dues au premier « corp des ingénieurs du Roi » en Provence et datent du début du XVIIème siècle.
Elles étaient destinées au contrôle économique et défensif de l’accès à l’étang de Berre.
Comme déjà indiqué plus haut le Roi de France, Henri III, a érigé Martigues en « Principauté », le 4 juillet 1580.
En fait, il voulait pacifier cette partie du Royaume en proie aux guerres de religion entre Protestants et Catholiques et aux luttes princières qui s’ensuivirent.
Port de guerre grâce à son avant-port (devenu le Port de Bouc au nord de la passe), Martigues et ses trois communautés rivales donnaient à ses yeux l’image de la division.
Dès Avril 1581, en présence du Duc d’Angoulême envoyé spécial du roi et d’un juge Provençal, le Juge CORRIOLIS dont on retrouvera plus tard un célèbre descendant à la Présidence du Parlement de Provence, les 18 représentants des quartiers de l’Isle, de Jonquières et de Ferrières ont, quelque peu contraints et forcés, approuvé leur réunion en une seule ville du nom de Martigues (au pluriel !) par un document, signé par toutes les parties, connu sous le nom « d’Acte d’Union ».
En 1589, Henri de Navarre, noble et protestant, devenu Henri IV, roi de France, succédant à son beau-frère Henri III (le dernier des Valois, assassiné sur sa chaise percée…) commence alors la longue reconquête du royaume qui s'achève en 1594 par son sacre (non pas à Reims comme la plupart des rois de France, mais à Chartres, car Reims était aux mains de « la Ligue » des Catholiques bien qu’il ait fait amende honorable en se convertissant au catholicisme, bien malgré lui).
Le bon roi Henri IV, désireux de renforcer le service des fortifications, avait nommé SULLY, son surintendant des fortifications.
Dès 1604, SULLY avait mis en place un nouveau règlement concernant les châteaux et les places fortes en créant un corps d’officiers chargé de mettre en œuvre cette nouvelle politique de fortification.
Pour la Provence, c'est l'ingénieur Robert de BONNEFONS qui avait été choisi par le pouvoir. Chargé notamment des forts d'Antibes, Saint-Tropez, Toulon et Marseille, il avait pris la direction du chantier du « Fort de Bouc » et s’est attaché à sécuriser la vieille tour, édifiée au Moyen Âge, en la ceinturant de fortifications.
Cette importante campagne de travaux qui a démarré en 1605 a été alors l'œuvre conjointe de la famille de BONNEFONS : Robert d'abord, puis son fils Jean, qui prend la suite et termine les premiers travaux jusqu'à sa mort en 1610 et, enfin Honoré, leur cousin, qui fut l’ingénieur de Louis XIII.
Malgré tout, le fort ne recouvrait pas encore son périmètre actuel et il a fallu attendre les années 1650 pour qu'un autre ingénieur du roi, François BLONDEL, s'attelle enfin à rendre véritablement efficaces les fortifications.
Sébastien « Le PRESTRE de VAUBAN » dit « VAUBAN » est encore loin... Élevé au titre d'ingénieur ordinaire du roi en 1655, il n'interviendra sur le fort de Bouc qu'à partir des années 1680, ses ingénieurs se limitant essentiellement à des travaux d'aménagement et au confort intérieur du bâtiment.
En 1712, le Maréchal et Duc de VILLARS, pair de France, devenu gouverneur de Provence détenait à ce titre l’autorité sur le Fort de Bouc.
Auréolé de son succès lors de la bataille de Denain (le « Verdun » de l’époque !), Claude Louis Hector de VILLARS acquiert en 1714 « la Principauté de Martigues » après une dure bataille de procédures comme on l'a signalé plus haut.
En aucune manière, l'aspect extérieur des fortifications ne sera modifié ou transformé par la suite.
Cela tend donc à prouver que la structure du fort satisfaisait en tout point l'exigence défensive de VAUIBAN, le « commissaire général des fortifications ».
De là vient la méprise à propos de la construction du Fort par VAUBAN. Elle provient tout simplement d'une erreur d'interprétation, relayée par une phrase du rapport de l'Inspection Générale des fortifications, en 1795 qui affirmait :
« Ce fort, construit par VAUBAN, ne peut soutenir qu'un siège de quelques jours ».
À la suite de ce rapport et tout au long du XIXème siècle, voire une bonne partie du XXème siècle, la paternité du fort sera ainsi injustement attribuée par erreur à VAUBAN.
C’est vrai que ses défenses (Bastions et redoutes qui ne laissent aucun angle mort) ressemblent à s’y méprendre à toutes les fortifications de VAUBAN, mais ce dernier, pour tenir compte de l’avis de l'Inspection Générale des fortifications, s’était contenté de faire précéder l’entrée du fort d’une redoute équipée de 4 canons de 24 (capables de propulser des boulets de 12 Kg à près de 2500 mètres), coté terre afin de le rendre imprenable.
Voici la maquette du fort qui laisse apercevoir son aspect global et son armement :
Maquette du Fort de Bouc exposée à la mairie de Martigues
Il est équipé d’un pont levis à l’entrée de la redoute au nord-ouest qui conduit à une première cour donnant accès à un pont à 5 arches qui traverse un petit bras de mer pour rejoindre l’entrée du fort condamnée par un second pont-levis qui mène dans un long couloir sur toute la largeur de la caserne, ce qui permettait éventuellement d’empêcher à des ennemis de pénétrer plus loin sans se faire occire.
De fait, il est impressionnant de devoir passer le premier pont-levis de « la redoute Vauban », avec sur la droite une salle de gardes et découvrir l’existence d’un second pont-levis qui condamne l’entrée du fort lui-même après avoir dû traverser le pont qui rejoint la redoute au fort.
Entrée de la Redoute avec son pont-levis…
Entrée de la Redoute avec sur la gauche une salle des gardes munie d’une cheminée.
Armement de la Redoute : 4 canons de 24…
Le pont dormant à 5 arches reliant la redoute au fort lui-même.
Pont dormant et Pont-levis du fort de bouc avec les armoiries du royaume de France.
La longue coursive menant du pont levis du fort à la cour du casernement
De part et d’autre de l’entrée se trouve l’accès à des salles de gardes à l’Ouest, et de la prison à l’Est.
Dans laquelle on débouche par l’arche centrale encadrée par un double escalier.
En effet, à partir du XVIIème siècle le Fort de Bouc devient prison d’état pour des personnages de haut rang.
Le plus célèbre d’entre eux fut Laurent de CORRIOLIS, Président du Parlement d’Aix-en-Provence qui avait osé s’opposer à RICHELIEU à la suite de « l’Édit des Élus » qui privait la Provence de ses prérogatives, le Parlement du Royaume de France se substituant au Parlement provincial de Provence.
Ce pauvre homme, après son retour d’exil à Barcelone en 1636, est arrêté malgré l’armistice Royale, et interné au Fort de Bouc, il y meurt en 1640 dans le plus complet dénuement.
Cet abus d’autorité Royale avait déclenché en Provence la « révolte des grelots ». (Cliquer sur le lien pour découvrir un extraordinaire roman historique à son propos !)
RICHELIEU, pour obtenir plus d'argent de la Provence, fit croître les impôts et décida, pour les rendre plus productifs, de les percevoir directement sans l'aide du Parlement qui siégeait à Aix-en-Provence.
La révolte éclata. Magistrats, nobles, ouvriers, artisans et paysans Provençaux se soulevèrent. Les rebelles décidèrent de choisir un grelot comme signe de ralliement. Ils se l'agrafèrent au chapeau avec un voile blanc. La révolte fut hélas durement réprimée.
Cette prison est impressionnante par sa succession de cellules communes et de cellules d’isolement, basses de plafond, humides et sans aucune ouverture autre que la porte.
On se rend compte de ce que pouvait être une détention de plusieurs mois dans de tels locaux !
A gauche, la cellule où fût enfermé le Président du Parlement d'Aix jusqu'à sa mort en 1640...
Au-dessus de l’entrée, l’arche centrale est encadrée par un double escalier qui mène à une terrasse donnant accès aux quartiers des soldats de part et d’autre avec, au centre, un passage vers le chemin de ronde auquel on accède par un large escalier qui permettait à tous les soldats de se rendre rapidement au chemin de ronde en cas d’alerte.
La cour de la caserne avec aux 1er et 2nd étages, les dortoirs de la garnison.
Escalier montant à la salle de garde du chemin de ronde (ci-dessous).
La Salle de garde avant d'entrer sur le chemin de ronde, et emplacement d'une DCA Allemande...
avec les traces d'une rainure qui lui permettait de tourner à 180°;
il y demeure une casemate en béton allemande.
Avant d’accéder au chemin de ronde qui fait tout le tour du fort, se trouve une salle de garde où les soldats pouvaient venir se réchauffer et prendre un bol de soupe.
Ici, à partir du chemin de ronde, vue sur la redoute d’accès, et le port de Lavéra au Nord-Est, côté terre
Et au sud, vue sur le large, côté mer.
Et nous allons le cheminer... sur 800 mètres !
Selon l’inventaire de 1747, le fort était équipé de 2 canons de 36, 8 canons de 24, 4 canons de 18, 7 canons de moindre importance, et enfin de 200 fusils.
Canon de 36 !
Les canons de 36 sont les plus grosses pièces d’artillerie de la fin du XVIIIème siècle. Ils sont définis non par leur calibre mais par le poids de leurs projectiles !
Ainsi, un canon de 36 envoyait des boulets pleins en fonte de fer de 36 livres (soit 18 Kg) à 3700 m ! Le poids de son tube était de 3750 Kg pour une longueur de 3,33 m (et, pour les esthètes, un calibre de 175 mm).
Un canon de 24 envoyait des projectiles de 12 Kg à 2500 m et un canon de 18 des boulets de 9 Kg à 2000 m.
Canon de 24
Il y avait également 21000 litres de poudre en stock permanent dans la poudrerie.
En parcourant le chemin de ronde, on s’aperçoit que tous les angles du fort sont équipés « d’échauguettes ». Ce sont en fait 10 petites tours de guet circulaires ouvertes côté chemin de ronde, suspendues aux murailles, permettant à un soldat de surveiller l’angle sur 180° grâce à deux meurtrières permettant le passage d'un fusil.
Quelques unes de 10 échauguettes du Fort de Bouc...
Mais reprenons l’historique du canal de Caronte ; dès 1802, le Général Napoléon BONAPARTE ordonna le démarrage des travaux du creusement du canal d’Arles à Bouc, qui permirent plus tard le développement de la ville de Port de Bouc. Ce chantier se poursuivi de 1802 à 1836 !
Puis, fort de sa victoire après le siège de Toulon, punie d’avoir choisi le camp des anglais, et émettant des doutes sur la sécurité de sa rade, Napoléon BONAPARTE a cherché une autre rade pour abriter la Marine Française de la Méditerranée.
Percevant l’importance stratégique du site, le Port de Bouc l’avait séduit et dès 1805, il avait conçu un projet grandiose de chantier de construction navale de vaisseaux de guerre et d’un port militaire pour la marine impériale à l’abri des mauvaises surprises en le positionnant à l’intérieur des terres et non accessible directement par la côte.
Ce rêve pharaonique n’aboutira pas faute de moyens, et Napoléon BONAPARTE lui préféra finalement la Spezia en Italie.
Mais Martigues a bel et bien failli supplanter Toulon !
Cela dit, les travaux imaginés par Napoléon BONAPARTE sur le canal de Caronte se sont poursuivis tout au long du XIXème siècle.
De 1846 à 1863, il a été procédé à l’élargissement du canal à 20 mètres et son draguage à 6 mètres lors du creusement du Port de Ferrières.
En 1859 il fallut construire un pont tournant pour le chemin de fer d'Arles à Marseille via Port de Bouc pour ménager une double-passe de 20 mètres de large pour permettre le passage des bateaux à vapeur alors propulsés par des roues à aube.
Pont tournant du Chemin de fer d’Arles à Marseille par Martigues
En 1882 on a dû approfondir encore la rade de Port de Bouc.
De 1906 à 1914, fut construite la digue de Martigues à la Mède, pour protéger la navigation de barges à fond plat de la houle de l’étang de Berre qui venait se raccorder à la digue naturelle, le « Jaï », qui sépare l’étang de Berre de l’étang de Bolmon.
Le « Jaï », digue naturelle séparant les deux étangs de Berre et de Bolmon à Chateauneuf-les-Martigues…
Plan faisant apparaître la longue Digue de Martigues à la Mède qui rejoint la Digue naturelle du « Jaï »
Puis une idée un peu folle qui avait effleuré les esprits depuis le XVIIIème siècle a germé et a été réalisé !
On ne peut donc pas s’en arrêter là, bien que les « Séniors dans le vent » ne l'aient pas visité, sans évoquer…
LE CANAL ET LE TUNNEL DU ROVE
Construire un canal qui relierait l’étang de Berre directement au port de Marseille était tout aussi pharaonique que l’idée de Napoléon BONAPARTE de transformer l’étang de Berre en rade militaire !
Ce canal est en effet né d’un constat : tous les grands ports du monde sont à la fois accessibles par la mer, desservis par un grand fleuve et reliés à un réseau de canaux.
Marseille a, certes, la Méditerranée, mais le Rhône est loin. Sa rade aux rives accidentées isole d’autant plus son port de l’arrière-pays et de la voie de communication majeure que représente la vallée du Rhône, que les romains avaient si bien su exploiter.
Pour relier le Rhône au départ de Marseille, les bateaux et les barges fluviales devaient atteindre, par la mer, le canal d’Arles à Bouc, un itinéraire parfois complexe du fait même de la houle et du mistral sur cette partie du trajet.
Dès le XVIIIème siècle, les plus brillants ingénieurs hydrauliciens se sont donc creusé la tête et les projets de voies navigables se sont succédés, avec notamment le canal de Provence, qu’avait imaginé RICHELIEU lui-même, et lancé par FLOQUET vers 1740, qui visait à relier Marseille à la Durance et au Rhône en cheminant vers le nord afin de contourner la chaîne de la Nerthe.
Commencé en 1752, ce canal de la Durance est abandonné à la Révolution tellement le projet est monumental.
Ce n’est qu’au début du XIXème siècle qu’on imagine pour la première fois de passer sous la chaîne rocheuse des collines de la Nerthe à partir de l’Estaque pour rejoindre rapidement les eaux calmes de l’étang de Berre, propices à la navigation des navires de charge.
La seconde moitié du XIXème siècle va par ailleurs se distinguer par la construction d’ouvrages majeurs, tels que les canaux de Suez et de Corinthe, auxquels ont collaboré activement des entreprises françaises et des Marseillais.
Un avant-projet phénoménal, présenté en 1841 par l'ingénieur des Ponts et chaussées Jean-François de MONTRICHER, concepteur du canal de Marseille qui a détourné les eaux de la Durance et constructeur de l'Aaqueduc de Roquefavour.
Aqueduc de Roquefavour construit par Jean-François de Montricher.
Il propose la réalisation d’un tunnel de 5040 mètres de long qui franchirait les collines de la Nerthe à une altitude de 50 mètres… imposant la construction de pas moins de quarante-huit écluses et au moins une journée de transit pour chaque navire, sans compter que se posait alors l’approvisionnement en eau des écluses !
Un temps, à l'instar du creusement du canal de Corinthe qui avait nécessité de découper plus de 11 millions de mêtres cubes de roche et présentait les mêmes caractéristiques, et qui venait d'être achevé en 1894 sur plus de 6 Kilomètres, il a été envisagé de creuser une tranchée rectiligne en « V » depuis Marignane jusqu'à l'Estaque mais il fallait déplacer plus de 15 millions de mêtres cubes de roche arrachée au massif de la Nerthe et cela aurait rayé de la carte le petit village du Rove.
Le canal de Corinthe en Grèce : 6200 m à 50 m de profondeur en moyenne.
Ces deux entreprises irréalistes ont au moins eu le mérite de poser les bases de ce qui sera le futur « Tunnel du Rove ».
Opportunément, au même moment, la construction de la ligne de chemin de fer PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) a offert un premier débouché intérieur pour Marseille, tandis que le percement du tunnel ferroviaire à travers la chaîne de l’Estaque a démontré la faisabilité d’un tel projet.
Forts du savoir-faire acquis, motivés par la concurrence croissante du transport ferroviaire des marchandises qui explique un fort soutien de la Chambre de Commerce de Marseille, l’ingénieur Le BLANC a proposé dès 1873 la solution qui sera finalement retenue : un tunnel navigable maintenu au niveau de la mer et donc à celui de l’étang de Berre, ce qui imposait des travaux de creusement titanesques, mais évitait la construction d’écluses.
Le plus grand canal souterrain du monde allait voir le jour pour permettre de désenclaver le port de Marseille !
Tracé du canal et du tunnel du Rove entre étang de Berre et l’Estaque à Marseille
Le creusement du « Tunnel du Rove » pouvait permettre ainsi la navigation des barges à fond plat qui transportaient le sel des Salins de Giraud nécessaire aux savonneries et industries de Marseille en remontant le Rhône jusqu'à Arles pour rejoindre l’étang de Berre sans emprunter la mer.
Et dans l’autre sens, des barges fluviales seraient ainsi capables d’acheminer le fret du port de Marseille pour atteindre le Rhône directement et se connecter au réseau de canaux intérieurs dont celui du midi sans passer par la mer.
Inscrit au livre GUINESS des records, le « Tunnel du Rove » mesure, exactement, 7266 mètres en ligne droite !
Le « Tunnel du Rove » mesure 7266 m de long… et il est tout droit. Les péniches fluviales peuvent s’y croiser !
Sa section de voûte de 320 mètres carrés, représente six fois celle d'un tunnel ordinaire de chemin de fer à double voie.
Le plan d'eau, d'une largeur de 18 mètres pour 4 mètres de profondeur, et d'un passage sous la voute de 15 mètres de hauteur au dessus du plan d'eau, est bordé de chaque côté d'un chemin de halage de 2 mètres qui nécessite une voute de 22 m de large !
Entrée du tunnel coté Marseille à l’Estaque ; à droite photo de Thibaut VERGOZ (en exploration du tunnel).
Entrée du tunnel coté Marseille à l’Estaque
Entrée du tunnel du côté de l’étang de BOLMON à Marignane.
Le tunnel fut inauguré le 25 avril 1927 en grande pompe par le Président de la République Gaston DOUMERGUE.
Pendant 37 ans, il permit d’acheminer sous le massif de la Nerthe de Marignane à l'Estaque des milliers de tonnes de marchandises… dès 1931, le trafic a augmenté progressivement de 11000 tonnes par an pour atteindre 300000 tonnes par an en 1952.
Hélas, le 16 juin 1963, un effondrement se produisit dans un terrain marneux, sur 170 mètres de longueur, creusant en surface un cratère de 15 mètres de profondeur et de 45 m de diamètre. Le tunnel a donc depuis été fermé à tout trafic et on a dû construire un mur de contention pour empêcher l’effondrement de se propager.
L’écroulement de 1963 et le mur de contention qui bouche le tunnel depuis.
Il a failli être quasiment oublié de tous mais l’écologie aidant, depuis 20 ans, le GIPREB (« Groupement d’Intérêt Public pour la Réhabilitation de l’Étang de Berre ») l’autorité qui préside à l’avenir de l’Étang de Berre a l’espoir d’arriver à le rouvrir pour approvisionner l’étang avec de l’eau de mer, bien plus qu’il ne peut en passer par le canal de Caronte.
En effet, en février 2017, Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, s’engageait à lancer différentes études sur la possibilité d’ouvrir de nouveau le tunnel du Rove. Hélas, un an plus tard, nouveau gouvernement, mais toujours le même sujet.
Le GIPREB souhaite pomper l’eau de la Méditerranée vers l’Étang de Berre, et plus précisément l’étang de BOLMON, via le tunnel du Rove. En d’autres termes, permettre au tunnel d’exercer de nouveau son rôle d’intermédiaire entre les deux étendues d’eau, comme c’était le cas avant l’éboulement qui a entraîné sa fermeture.
Une solution pour réhabiliter biologiquement l’Étang de Berre, pollué jusqu’en 2006 par les rejets trop importants des usines alentours. Depuis cette date, des limites imposées ont permis le retour de la vie marine dans l’étang, mais il faut encore la pérenniser.
L’idée du GIPREB est de pomper 4m3 d’eau par seconde dans un premier temps, puis de progressivement atteindre les 10 m3/seconde. Un stade nécessaire à atteindre pour que cette solution soit efficace pour la réhabilitation complète et pérenne de l’Étang de Berre.
Cette augmentation progressive aurait aussi l’avantage de suivre en temps réel l’influence du débit de pompage sur l’écosystème de l’Étang.
A la demande du GPMM (Grand Port Maritime de Marseille) qui en assure la maîtrise d’ouvrage déléguée, le CÉTU (Centre d’Étude des TUnnels – organisme gouvernemental) a été sollicité en 2022 pour effectuer un diagnostic géotechnique et structurel du tunnel et remettre en place un suivi régulier.
Inspection du revêtement coté étang, et à l’aide d’une nacelle multidirectionnelle sur barge coté Estaque
Affaire à suivre !
BIBLIOGRAPHIE
Le Musée de la ville de Martigues (rez-de-chaussée de la mairie) présente toute une série de planches retraçant l’histoire de l’île et de la ville…
Une petite vidéo de 3 minutes 50 tournée en 2022 donne une idée du tunnel :
Vidéo de l'historique du Tunnel par deux passionnés dont un professeur d'histoire et un amateur d'archives :
https://www.dailymotion.com/video/xcwwm8
Archives de l'INA quant à l'effondrement du tunnel en 1963 :
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/raf01004205/effondrement-du-tunnel-maritime-du-rove
Le GIPREB : « Groupement d’intérêt public pour la réhabilitation de l’étang de Berre » : Statuts
https://etangdeberre.org/content/uploads/2019/01/3-statuts-d%C3%A9finitifs-2018.pdf
A propos de la construction du tunnel du Rove :
https://etangdeberre.org/decouvrir/petites-histoires/le-tunnel-du-rove-oublie-de-lhistoire/
Étude du CÉTU en ce qui concerne le tunnel du Rove :
Étude de l'École d'Architecture de Marseille Luminy en ce qui concerne les projets d'aménagement de l'étang de Berre:
https://www.caue13.fr/sites/default/files/2020-05/L%27Etang%20de%20Berre%20Calame%CC%81o.pdf