LES JUIFS DU PAPE
Nota Bene : Ce travail est uniquement une étude historique sur le fait religieux.
N’en tirez surtout pas un jugement de valeur, je ne m’y autoriserais pas car je suis trop attaché à une règle qui m'interdit de parler politique ou religion, mais seulement une information sur laquelle je me suis penché par hasard en consultant les archives départementales au palais des Papes.
En connaissant le passé, on peut apprécier le présent et mieux préparer l’avenir.
Il y a des juifs en Provence depuis le début de notre ère.
La plupart des légendes sur le sujet rapporte que trois bateaux sont partis de terre sainte après la destruction du temple de Jérusalem.
L’un des trois est atterri à Arles (ce navire avait à son bord Maître Jacques, que les Compagnons du Devoir du Tour de France identifient à l'un des deux adjoints de l'Architecte du Roi Salomon du nom d'Hiram Abi - cf. l'article sur LES COMPAGONS DU DEVOIR DU TOUR DE FRANCE), le second à Avignon, et le troisième à Bordeaux après avoir fait le grand tour par Gibraltar (ce dernier avait, lui, à son bord Soubise que les Compagnons du Devoir identifient au second adjoint de l'Architecte Hiram Abi).
Pour étayer la légende plusieurs faits concordent :
- On a retrouvé à Robion, près de Cavaillon, une lampe à huile juive représentant une menorah (chandelier à sept branches) qui date du 2ème siècle après JC.
- On a retrouvé dans les archives d’Avignon le récit d’un soulèvement des juifs contre l’évêque en 390.
- On a retrouvé à Avignon la matrice d’un sceau officiel du 4ème siècle, décoré d’une menorah à cinq branches.
- Enfin on a retrouvé dans une ancienne gueniza (une salle où sont stockées les livres sacrés) de la Synagogue de Carpentras plus de 450 volumes (dont 230 en hébreu), six manuscrits, 55 partitions et divers objets du quotidien, des contrats de mariage (ketouba), des châles de prière datant du XIIe siècle…
Puis on ne sait plus rien entre le VIème et le XIème siècle. Y a-t-il eu interruption de la présence des juifs ou non ? On ne le sait. On ne retrouve leurs traces qu’à partir du XIème seulement.
En l’occurrence, en 1178, l’empereur Frédéric Barberousse a signé une charte à Montélimar donnant en cadeau aux juifs : leur protection. Un document précis aux archives l’atteste.
A Aix, on constate l’existence d’un cimetière juif au XIème siècle.
Lorsque le Marquisat de Provence (courant XIIIème) se transforme pour une part en Comtat Venaissin et pour l'autre en Comté de Provence on relève la présence de juifs dans une douzaine de localités dont Carpentras, Manosque, Forcalquier, Apt, Draguignan, Le Luc, Marseille et Aix.
Le nombre de juifs ne cesse d’augmenter au XIVème siècle surtout, lorsque Philippe le Bel les chasse du Royaume de France ; ils passent tous le Rhône pour séjourner sur le territoire du Saint Empire Romain Germanique, en Provence, et ils ne sont admis à y revenir qu’à partir de 1394, mais Charles VI décrète qu’aucun juif ne doit désormais être domicilié en France.
La cour pontificale, elle, bien au contraire, accueille les juifs et les invite à revenir à Avignon; ce sont essentiellement des sépharades en provenance du sud et du Languedoc qui n’ont pu fuir vers l’Espagne...
Ce geste n’est pas tout à fait désintéressé, au-delà de l’aspect humaniste des papes, il faut rappeler que c’est eux qui détiennent une partie du savoir de la médecine et aussi qui animent le marché des marchandises de toutes sortes dont le Saint Siège a besoin…
En Provence, fin XIVème, il y a environ soixante localités qui abritent des juifs qui représentent une densité de 500 à 1000 juifs dans les grandes villes (Aix, Marseille, Avignon, Carpentras...)
Toute agglomération comprenant au moins 200 « feux » (foyers) compte quelques familles de juifs.
Par exemple, on sait avec précision qu’ils se regroupent dans 203 maisons à Aix sur les 1800 feux que représente alors la ville, soit prés de 10% de la population.
En 1358, le pape Innocent VI fait recenser les chefs de famille à Avignon où l’on compte 209 chefs de familles juifs soit environ 1200 juifs sur les 30 à 40000 habitants que compte la ville.
Puis la population juive diminue à la fin du XIVème siècle à cause de la terrible Peste Noire qui sévit à partir de 1348 en commençant par Marseille où un habitant sur trois meurt de la peste.
On (et en particulier le Pape Clément VI) accuse les juifs d’avoir introduit la peste, même s’ils n’y sont pour rien, puisque eux-mêmes en pâtissent, et on rapporte dans des archives qu’on est allé jusqu’à les massacrer à Manosque, Forcalquier, Apt et Malaucène…
Le reine Jeanne de Naples, qui possède le Conté de Provence proteste mais rien n’y fait. Les juifs abandonnent les villages pour se regrouper dans les villes afin de pouvoir mieux se défendre.
Après la peste, les archives prouvent que les revenus de la taxe d’habitation a diminué de moitié ce qui indique clairement que les juifs ont eux-mêmes diminué dans la même proportion.
Toujours à l’instigation des papes, ils sont considérés comme des citoyens à part entière, et peuvent se réunir dans un lieu de culte au XIVème et XVème siècle. D’ailleurs, dans nombre de petites villes provençales, on constate l’existence de nombreuses « rues de la juiverie » ou quartiers « de la juiverie » où se regroupe la communauté mais sans pour cela représenter un ghetto.
Les juifs vivent en exerçant quantité de métiers manuels, dont des potiers, armuriers, sartres (tailleurs), tisserands et mêmes médecins.
La légende de Saint Bénezet rapporte que le batelier qui lui fit passer le Rhône en 1177 lors de l’accomplissement de sa vision pour faire construire un pont à Avignon était juif (cf. archives d’Avignon : « Va li respondere lo nauchiers que era juseù : si vols passar, tu mi daras tres deniers tant quant fan li autres. » - le passeur lui répondit qu’il était juif. Si, tu veux passer, tu dois me donner trois deniers comme le font les autres…)
Mais la plus grande partie des juifs vivent du petit commerce, comme simples intermédiaires ou courtiers. Il faut en effet avoir une bonne connaissance du commerce mais avoir aussi la confiance des parties.
A Aix, les juifs monopolisent le commerce des amandes et de l‘huile d’olive. On rencontre aussi beaucoup d’experts juifs pour évaluer les stocks.
Ils pratiquent souvent aussi l’usure, autrement dit le prêt d’argent. L’usure n’avait pas la connotation péjorative qu’on lui connaît de nos jours (cf. mon travail sur les Templiers…), l’intérêt pouvait n’être que de 5% l’an… En effet, à l’époque, les chrétiens ne sont pas autorisés à prêter contre intérêts (mais il y a des astuces, bien sûr, pour contourner l’interdiction, ne serait-ce qu’en versant à l’emprunteur de 100 livres, par exemple, un montant de 80 livres seulement alors que les documents officiels mentionnent un prêt de 100 livres…). Mais ces prêts demeurent des sommes modestes qui dépassent rarement 100 livres. Dès qu’on s’élève dans l’échelle des prêts, les juifs s’effacent pour laisser la place aux « lombards », les banquiers italiens.
Le niveau intellectuel des juifs est habituellement bien supérieur à celui des chrétiens. En particulier, tous les juifs savent lire parfaitement. L’échange quotidien ne se fait pas en hébreu mais en provençal voire en « Shuadit » ou Hébreu-Comtadin, un mélange d’Hébreu et de Provençal, tout comme le « Yiddish » est un mélange d’hébreu et d’allemand.
De grands changements se mettent en place au XVIème siècle. L’hostilité contre les juifs est grandissante. En 1559 on note une soixantaine de soulèvements souvent attisés d’ailleurs par les ordres mendiants (dominicains et franciscains…) mais aussi par les ouvriers agricoles saisonniers, moissonneurs et vendangeurs venus du royaume de France, au-delà du Rhône.
Louis XI confirme la présence de juifs en royaume de France, mais ils sont expulsés par Charles VIII et Louis XII entre 1594 et 1598. Ou bien ils s’en vont, ou bien ils doivent se convertir au christianisme ! On appelle d’ailleurs ces nouveaux convertis des « néophytes ». Ils ont été certainement très nombreux à se convertir. Environ la moitié des juifs de Provence se convertissent, ne serait-ce que pour avoir droit de cité, même si, en famille, ils conservent leurs pratiques religieuses.
Toutefois, à partir de 1605, les Papes, se refusent à expulser les juifs en dehors des états pontificaux, qui, bien au contraire, les protègent. Il y a une raison humanitaire à cela mais aussi théologique. Les mauvaises langues prétendent que ce sont des raisons financières (car les juifs entretenaient un commerce dynamique), mais c’est faux. Les vraies raisons sont en fait doctrinales.
En effet, les théologiens pour donner force au credo catholique romain ont besoin du témoignage apporté par les juifs, et cela est particulièrement vérifié à l’époque de Saint Augustin au 5ème siècle (cf. le nouveau testament, Romains 9 à 11) qui a besoin des juifs pour avérer la doctrine catholique.
En effet, Jésus Christ est né au sein du peuple juif pour accomplir les écritures. Mais les juifs n’ont pas su le reconnaître et l’ont fait mettre à mort par les romains.
Le fait de ne l’avoir pas reconnu est la première faute des juifs, aggravée par sa mise à mort; eux seuls sont responsables de ce martyr et bien que le catéchisme du Concile de Trente (tenu de 1545 à 1563) précise que le Christ est mort pour tous les pêcheurs et pas seulement pour les juifs, ce point de vue est complètement ignoré pour laisser place à la croyance populaire profondément ancrée dans les esprits, et les juifs passent pour être des coupables.
La preuve ? Leur punition immédiate a été la perte du Royaume de Jérusalem.
Alors, le châtiment s’est transformé en obligation de porter témoignage et contraint le peuple juif à se disperser dans le monde entier pour étayer la doctrine.
En effet, Saint Augustin explique que les juifs sont les « archivistes » du monde chrétien et pour cela, ils doivent être humiliés. Ils sont alors l’objet d’un châtiment dans l’esprit des Chrétiens.
Le Christ était bien le Messie qu’ils n’ont pas su reconnaître. Le peuple juif n’est donc pas le peuple élu de Dieu et le nouveau peuple de Dieu, ce sont bel et bien les chrétiens. Les juifs doivent donc subsister en étant misérables et fautifs pour accréditer la thèse catholique romaine !
Jusqu’au XVIème siècle, les règles de vie des juifs sont remises en lumière par la Réforme, réaction de survie de l’Eglise catholique Romaine. Sous l’impulsion des papes d’Avignon sont mises en place des prescriptions nouvelles dont le « ghetto », une des réactions issues de l’émeute de Carpentras en 1459.
On regroupe les juifs d’abord pour assurer leur protection. En 1453, le premier regroupement de juifs se fait à Cavaillon où on délimite un quartier juif entièrement fermé aux chrétiens. A Carpentras la même chose se produit en 1461. Puis à Avignon de 1458 à 1475. On clos le quartier juif par des portes et des chaînes qui ferment entièrement le quartier juif, clos de l’intérieur, chaque soir par un portier juif avec interdiction de sortir avant le lever du jour. Le juif qui s’est laissé surprendre à l’extérieur de l’enceinte est obligé de se cacher et passer la nuit dans la campagne alentour pour pouvoir rentrer chez lui à l’aube.
Le ghetto se nomme « la carrière » des juifs, le mot provençal utilisé pour « rue » des juifs.
A partir de la fin du XVIème siècle, les juifs sont autorisés à passer trois nuits au maximum en dehors du ghetto pour les besoins de leur profession. Mais on les regroupe de force dans la première moitié du XVIIème siècle dans quatre « carrières », à Carpentras, Cavaillon, l’Isle sur Sorgue et Avignon. (cf.: Voir également mon article sur la Synagogue de Carpentras)
Ces ghettos sont censés ne pas « contaminer » les chrétiens dans une ségrégation absolue (mariage mixte juif/chrétien absolument interdit, pas de relations d’amitié ou amoureuse… les archives d’Avignon font état que les « attributs » d’un jeune homme juif ayant fauté avec une chrétienne lui avaient été tranchés et exposés au dessus du portail du palais des papes pour servir de leçon à toute la communauté…)
C’est à cette époque que le signe distinctif imposé par le pape Clément VI qu’était la Rouelle, une petite rondelle d’étoffe jaune que les juifs devaient porter sur leur manteau (le Reich n’a rien inventé !...) mais qui, au fil des ans, s’était rendu très discrète au point d’être brodée de façon artistique et souvent disparaître dans un pli de l’étoffe a été remplacé par l’obligation du port d’un chapeau de couleur jaune d’or bien plus visible de très loin.
Juif arborant le chapeau jaune sur un extrait d'une peinture de Carl Gustaf Hellqvist
Miniature extraite des « Grandes Chroniques de France »
Représentant l’expulsion des juifs de France en 1394 marqués de la Rouelle
et Blason Héraldique actuel de la Ville de Judenburg en Autriche et timbre poste.
Le port du chapeau jaune est rendu obligatoire dans les villes où il y a des « carrières » juives, quitte à leur donner l’autorisation de porter un chapeau noir quand ils doivent se déplacer sur les routes d’une ville à l’autre pour les protéger.
A partir de 1609, les juifs ont interdiction d’occuper une fonction publique (pas de notaire, pas de prévôt, pas d’avocat ni de juge, même la profession de collecteur d’impôts leur est interdite).
Pour empêcher un juif d’avoir autorité sur un chrétien, il a l’interdiction d’employer des domestiques (y compris les accoucheuses ou les lavandières qui ne peuvent pénétrer dans les carrières juives) les faisant ainsi vivre dans des conditions épouvantables. La Bulle de 1555 réduit les juifs au seul commerce des biens usagés. Elle leur interdit de même de posséder des biens immobiliers, et ils ne peuvent donc plus faire aucun autre métier que celui de commerçant.
Le métier de médecin qu’ils exerçaient avec talents du fait de leur éducation, leur est désormais interdit car ils n’avaient plus le droit de soigner un chrétien. Et comme il n’y a plus de juifs en Languedoc, ils n’ont plus la possibilité de former des médecins juifs à la faculté de Montpellier.
De nouvelles règles sont mises en application. Pendant la semaine sainte, les juifs n’avaient plus le droit de sortir du ghetto, toutefois, on n’a pas le droit d’interdire le culte et on doit respecter le sabbat.
A partir de 1584, par une Bulle pontificale de Grégoire XIII, on oblige les juifs à assister à des sermons de conversion. Et cela perdure jusqu’à la révolution ! Franciscains, Capucins et Dominicains excellent dans ce rôle de prédication et se relaient pour assurer les sermons.
En 1781, on impose, en plus, l’obligation d’avoir un deuxième portier, mais chrétien, à l’extérieur des carrières pour fermer les portes de l’extérieur si bien que les juifs sont carrément prisonniers.
Si on se situe à la fin du XVIIème siècle, cela correspond assez bien au souhait des papes du XIVème, les juifs vivent dans l’humiliation continuelle, sont l’objet de quolibets, et les synagogues se dégradent rapidement faute d’entretien et de moyens.
Toutefois, le XVIIIème siècle va apporter des changements dans l’activité économique. Les juifs vont pouvoir entreprendre des sorties en particulier à l’occasion des grandes foires du Languedoc (Beaucaire, Nîmes…)
En 1730/1740 des gens de Montélimar, Valence, Vienne et Lyon se plaignent de la concurrence des juifs. Puis, au fur et à mesure de la pénétration des commerçants juifs, ces plaintes s’étendent petit à petit à tout le royaume de France jusqu’à Paris et Lille…
Les juifs en particulier se spécialisent dans le commerce des étoffes, des vers à soie, et du coton ainsi que dans la bijouterie. Ils se mettent à réaliser de gros profits.
Les archives municipales de Carpentras font état du témoignage d’un contemporain (cf.: voir également mon article sur Joseph-Dominique d’Inguimbert), un abbé de Carpentras qui avait quitté la ville pour poursuivre ses études à Rome en 1703, en revient nommé évêque de la ville en 1735 et fait le constat que les juifs qu’il avait quitté pauvres se sont considérablement enrichis.)
Par exemple, grâce aux archives qui précisent le montant des dots, on constate l’évolution; dans les années 1600 les dots des filles sont souvent inscrites dans les actes de mariage à hauteur de 100 à 600 livres. Vers 1700 elles sont devenues en moyenne de 1600 livres et atteignent jusqu’à 9000 livres à la révolution.
De même, le montant des prêts accordés témoigne de l’évolution. Inférieurs à 100 livres sur une durée de moins d’un an en 1750, ils passent de 200 à 500 livres en 1775 qui représentent le ¼ des prêts accordés et deviennent supérieurs à 1000 livres à la fin du XVIIème.
En 1780, les archives d’Avignon mentionnent qu’un juif a fait un prêt de 100000 livres au Duc de Crillon pour la construction d’un canal.
Dans les archives de la ville de Carpentras on découvre qu’il y avait 200 foyers juifs en 1578, puis 450 en 1650 et de la fin du du XVIIème jusqu’à 1789 ils passent de 450 à 914. Ils ont été obligés de s’entasser rue de la Juiverie où certains immeubles atteignent huit étages alors que la rue ne fait que 2,50 m de large et que s’y déversent tous les égouts.
La densité sans cesse grandissante oblige les juifs à émigrer dans s’autres villes où il n’y a pas de « carrières de la Juiverie» à savoir Nîmes, Montpellier, Uzès, Remoulins, Pont Saint Esprit en profitant de l’opportunité des différentes foires qui leur permettaient de louer un petit appartement pour la durée de la foire… mais ils y restaient. Dans les années 1780, ¼ de la population des carrières a émigré vers le Languedoc mais aussi vers Paris, Lille et d’autres grandes villes.
L’assemblée Nationale issue de la révolution décide d’accorder la citoyenneté française aux juifs à partir de 1791, et en quelques années, les carrières se sont vidées de leurs habitants.
En 1808, par exemple, il y a 631 juifs qui s’inscrivent au recensement de Carpentras, alors qu’avant 1789 ils étaient plus de 2000. L’explication en est simple, ils ont émigré.
A l’Isle sur la Sorgue il y a encore une plaque commémorative à la mairie sur laquelle est inscrite le nom de tous les maires depuis la révolution… Et bien, le premier maire de l’Isle sur la Sorgue s’appelle Abraham ISRAEL !
Travail historique de Marc PAIRET.
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ADDENDUM, POUR NE JAMAIS OUBLIER ! :
Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l’occasion de la cérémonie nationale en l’honneur des Justes de France.
« Il y a 65 ans, dans l’Europe presque entièrement asservie, la barbarie nazie décide l’exécution de la solution finale. Une idéologie effroyable fait régner la terreur : une idéologie raciste, fondée sur cette croyance criminelle et folle selon laquelle certains hommes seraient par nature « supérieurs » à d’autres.
Et cela, au cœur d’un continent qui se considère comme l’aboutissement de la civilisation.
Innombrables sont celles et ceux que les nazis condamnent à mort à priori, à cause de leur origine, comme les Tziganes, à cause de leurs convictions religieuses ou politiques, de leurs préférences sexuelles, de leur handicap. Mais c’est contre les Juifs que se déchaîne avec le plus de cruauté et de violence systématique la folie nazie. Ce sont eux qui payent le tribut le plus effrayant : six millions d’êtres humains assassinés dans des conditions inexprimables. La quasi-disparition des Juifs d’Europe. La Shoah.
Comme dans un cauchemar, l’Occident se trouve renvoyé aux temps les plus noirs de la barbarie. À travers la destruction des Juifs, c’est au fond toute la civilisation judéo-chrétienne, toute la civilisation européenne, vieille de plusieurs millénaires, qu’Hitler veut abattre : l’invention à Athènes de la démocratie, l’éclosion à Rome d’une civilisation fondée sur le droit, le message humaniste des Lumières au XVIIIe siècle.
En France même, le pays des Lumières et des droits de l’Homme, le pays où tant de grands hommes se sont levés pour l’honneur du capitaine Dreyfus, le pays qui a porté Léon Blum à la tête du gouvernement, en France, un sombre linceul de résignation, de lâcheté, de compromissions recouvre les couleurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Le pouvoir de Vichy se déshonore, édictant de sa propre initiative, dès le 3 octobre 1940, le sinistre Statut des Juifs, qui les exclut de presque toutes les fonctions.
Les Juifs de France sont d’autant plus stupéfaits de cet antisémitisme d’État que leur pays est celui qui le premier en Europe, dès 1791, leur a accordé les droits des citoyens. Ils aiment leur patrie avec passion. Ils se sont battus pour elle, comme Marc Bloch et tant d’autres, en 1914 et en 1939 : soudain, devant leurs yeux incrédules, la République abdique, rend les armes à Pétain et à Laval, cède la place à une clique revancharde et haineuse.
Voilà 75 ans, en France :
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Il y a la honte du premier convoi de déportation, le 27 mars 1942.
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Il y a l’ordonnance allemande du 7 juin et l’ignominie de l’étoile jaune.
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Il y a le crime irréparable du Vel d’Hiv’, les 16 et 17 juillet.
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Il y a, du 26 au 28 août, la rafle de milliers de Juifs étrangers en zone libre. »
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