LA DERNIERE SCOURTINERIE DE FRANCE FONCTIONNE TOUJOURS...
LA SCOUTINERIE DE NYONS
La petite chanson des canuts lyonnais, interprétée par Yves Montant
Est toute indiquée pour accompagner les métiers à tisser de la scourtinerie !
Toutefois vous pouvez l'arrêter en cliquant sur les symboles
C’est marrant ! Chaque fois que je me mets devant une page blanche, que ce soit pour rédiger un article ou pour un simple compte-rendu de réunion, j'ai remarqué avoir toujours le même réflexe !…
Je me souviendrai en effet toute ma vie - c'était... il y a presque 70 ans - des règles du Français patiemment édictées et sans cesse rabâchées par Monsieur GAYMARD, mon prof de Français / latin / grec de la 5ème à la 3ème au Collège de Manosque qui avait su, par ses méthodes et sa pédagogie innée, nous faire aimer la littérature et la rédaction : Introduction, développement, conclusion, et relecture pour être bien sûr de n’avoir pas fait de « fôte » d’orthographe ou de syntaxe…; j'entends encore sa voix dans ma tête, nous rappelant la règle de BOILEAU qu'il nous avait fait apprendre par cœur : « Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli ».
Peut-être est-ce cela que l'on appelle l'âme ? Bon, arrêtons là, cette séquence nostalgie, pour entrer dans le vif du sujet !
Pour aller à la « scourtinerie » de Nyons c'est tout simple...
Il suffit de suivre l'ancienne route de Gap et des Alpes qui passe par le pont roman de Nyons...
Non, non, n’ayez pas peur, il tient bon... il est là depuis 1340 et même si son arche est haute de 18 m et son ouverture de 43 m, si ça monte, ça redescend de l’autre côté, et le service des Ponts et Chaussées y autorise toujours le passage aux automobiles pour arriver à la scourtinerie qui est à 200 m plus loin, sur la droite !
La Scourtinerie de Nyons est un lieu unique et je dirai presque magique quand on pense au génie des anciens ! Mais, si vous n’êtes pas Provençal peut-être vous demanderez-vous ce que fabrique une scourtinerie ?
Eh bien, des « Scourtins », pardi !
Mais qu’es aco ?
Le scourtin tire son nom du Provençal « scouffin », forme altérée de « couffin » ; c’est une sorte de cabas ou de panier souple qui ressemble à une galette de vannerie en deux parties et percée en son centre.
Originellement, il était tissé en fibres végétales (en joncs typha, sisal - il était entre autres en provenance de l'Île Europa et Madagascar autrefois comme je l'ai évoqué dans un article spécifique - ou en alpha) et il existe encore aujourd’hui en fibres de coco ou en fibres synthétiques – polypropylène notamment – plus résistantes et faciles à nettoyer que les joncs.
Eh bien, un scourtin c’est ça :
Depuis des siècles, la ville de Nyons bouillonne autour de la culture de l’olive, la fameuse « Perle des Baronnies » : la « Tanche » ou « olive noire de Nyons », qui a bien mérité, la première, son AOC dès 1968, mais aussi de son huile d’olive au délicat fruité mûr, et des savons qui sont fabriqués à partir des résidus d’huile d’olive.
On en trouve des traces un peu partout, et les gravures du XVIIème l’illustrent abondamment, et pour preuve, j’ai déniché à la BNF un texte « technique » qui en parle ; il date du siècle des lumières, juste avant la révolution :
« Mémoire sur la culture de l'olivier et la manière d'extraire l'huile des olives »
(question posée par l'Académie des belles lettres, sciences & arts de Marseille,
Pour le sujet du prix 1782).
Ce livret a été imprimé par l’imprimerie J.-B. Mouret chez Sube & La Porte, Aix en 1783.
Dans ce livret, on peut lire dans les 3 pages scannées ci-dessus, que :
« Les cabas dont il s'agit (ou « escouffins » en provençal) sont des couffins, ou des paniers d'une forme particulière, faits avec une espèce de roseau de rivière dit « masse d'eau » ou Typha, des joncs des étangs, pour servir à presser la pâte d’olive afin d’en extraire le jus contenant l’huile d’olive.
On tresse ces joncs typhas aplatis en bande d'environ trois doigts de large, on coud circulairement ces bandes et on en forme des disques qui peuvent avoir deux pieds et demi de diamètre. Deux de ces disques sont ensuite cousus par leur bord et on laisse à l'un d'eux, qui doit être le supérieur, une ouverture circulaire d'environ un pied de diamètre. C'est par-là qu'on charge les cabas de la pâte d'olive, et c'est par-là qu'on l'en retire en gâteau sec et à pièces brisées. [fin de citation]
Bas-relief en terre cuite datant du 1er siècle après J-C
(exposé au British Museum à Londres...)
C'est une représentation d'escourtins en fibres de Typha (joncs ci-dessus)
Que l'on pressait à l'aide d'une poutre en fait de levier.
Et un pressoir à vis en bois traditionnel conservé à St Michel l’Observatoire en Haute Provence !
Un « scourtin » traditionnel en fibres de sisal.
Des conserveries, des moulins, des savonneries, mais aussi des scourtineries se sont donc établies à Nyons au fil des siècles depuis la plus haute antiquité pour mener à bien toutes ces activités.
De toutes les scourtineries qui s’y étaient établies, il n’en reste plus qu’une seule en France, celle de Nyons !
Autrefois fabriqués manuellement avec des joncs typha comme c’est expliqué dans le mémoire de 1783 ci-dessus, les scourtins doivent leur survie, à deux reprises, au fondateur de l’atelier de Nyons, Ferdinand FERT, en 1882.
La première fois, Ferdinand, l’arrière-grand-père de Frédérique FERT, l’actuelle exploitante de l’atelier qui nous a reçu (et qui représente donc la 4ème génération de scourtiniers), est un ingénieux ouvrier ferronnier qui a mis au point le premier métier à tisser les scourtins, mais on y revient plus loin en détail.
Le métier à tisser les scourtins mis au point par Ferdinand FERT avait des engrenages en bois!
Et il tournait non pas avec un moteur électrique mais par la force hydraulique.
Et une seconde fois, quelques années après, lorsque, constatant que la révolution industrielle remplaçait les vis à bois des moulins à huile par des vis métalliques voire des vérins hydrauliques qui permettent une pression dix fois plus importante sur la pâte d’olive, et qui, du coup, faisait éclater les scourtins en jonc typha ou en fibres de sisal après deux ou trois utilisations seulement, Ferdinand FERT a adopté un nouveau matériau...
Après différentes expérimentations, il a l’idée d’utiliser non plus ces fibres trop fragiles, mais des fibres de noix de coco qu'on utilisait déjà pour les cordages de marine, parce qu'elles étaient réputées comme les plus résistantes et surtout imputrescibles.
Noix de coco, et ses fibres qui la protège à l’état brut avant d’être filées,
Il fait ainsi venir du Kérala (une province indienne située sur la côte sud-ouest de la péninsule) des écheveaux déjà filés de cordelettes de coco dont il va se servir pour tisser entre autres des pare-battages, sortes de gros boudins emplis de chutes de fibres qui protègent des coups les coques des bateaux amarrés à quai, mais aussi, bien sûr, pour tisser les fameux scourtins destinés aux presses des moulins à huile.
Voici un pare-battage de marine tissé en cordelette de coco.
Et écheveaux de cordes de fibres de coco sortant de l’autoclave de teinture.
Le succès est au rendez-vous et l’activité a été rapidement florissante pendant 50 ans, jusqu‘en février 1929, où un premier coup dur intervint à cause d’un épisode de gel exceptionnellement froid dans la vallée du Rhône qui a duré presque un mois, gelant les oliviers qui n’ont plus produit de fruits pendant dix ans, le temps nécessaire pour la repousse des rejets.
La Porte de l’Oulle à Avignon en 1929…
On marche sur le Rhône dont l'épaisseur de glace atteint 40 cm !
Vous savez à quoi sert un scourtin maintenant
Comme c’est expliqué dans le document de 1783, un scourtin traditionnel, ça sert à contenir la pâte d'olives moulues menu avec des meules de meunier pour en extraire tout le jus qui contient un gros pourcentage d'huile.
Juste un petit clin d'œil symbolique... Voici la meule de la famille de Napoléon Bonaparte
Qui exploitait l'oliveraie les Milleli à Ajaccio (elle est au sous-sol de la maison de Napoléon)
Et voici des presses à huile modernes qui fonctionnent encore avec des scourtins...
Empilage de scourtins emplis de pâte d'olive...
Bien des scourtineries ont eu du mal à survivre en attendant 10 à 12 ans que les oliviers de Provence puissent produire à nouveau. Et un grand nombre ont disparu dans les années 30 avec la crise économique mondiale, puis la guerre.
Pourtant l’atelier de Nyons a survécu, mais un deuxième coup dur intervient lors du gel encore plus important de 1956 qui fait éclater les troncs de tous les oliviers de Provence comme nous l’avons vu dans l’article sur l’olive de Nyons et vient s’ajouter aux évènements de la guerre d’Algérie.
Les quelques concurrents de la scourtinerie de Nyons qui avaient résisté à la crise de l’entre-deux guerres vont disparaitre les uns après les autres, car une nouvelle fois il faut attendre dix ans pour retrouver une activité des moulins à huile à peu près normale.
L'histoire a failli s'arrêter là. Mais Alain FERT, le petit-fils de Ferdinand, a eu un trait de génie !
Il avait remarqué qu’une tradition en Provence faisait que l'on utilisait les anciens scourtins réformés comme paillasson. Il a aussitôt un déclic, et se met à fabriquer des paillassons de toutes les couleurs en teignant ses cordages.
Une belle promotion l'aide à se faire connaître en 1958 dans le film
« Mon oncle » par Jacques Tati…
En, 1958, quand Jacques Tati, dans son film « Mon oncle », place trois scourtins en paillasson sur le devant d'une villa, c'est un coup de pub inespéré pour la fabrique familiale. Et c’est le début d’une ère nouvelle.
L’atelier va, dès lors, décliner toute une palette de « tapis Nyonsais » en fibres de coco en utilisant la technique du tissage des scourtins dans différentes teintes et des dimensions allant jusqu’à 2,50 m de diamètre car Alain FERT équipe les métiers à tisser d’origine de couronnes de grand diamètre !
On aperçoit au 1er plan l’un des métiers, capable de tisser des tapis jusqu’à 2,50 m de diamètre.
Des tapis colorés qui ne déparent pas un intérieur bourgeois !
Et depuis plus de 60 ans maintenant, l’atelier continue à fonctionner en fabriquant toujours des scourtins traditionnels en fibres de coco bien sûr, mais surtout toute une gamme colorée de tapis de toutes dimensions qui représente prés de 80% de son activité.
En 2018, la fille d'Alain, Frédérique FERT, a la bonne idée de rajouter une gamme « d’ombrières » que la scourtinerie importe en l’état du Kérala pour satisfaire un commerce équitable avec les ateliers indiens qui traitent ainsi leur matière première en la valorisant.
On s’était en effet aperçu qu’une ombrière en fibres de coco est capable d’abaisser la température d’une terrasse ensoleillée de 2 à 3° C… Alors, Frédérique a fait du lobbying auprès des revues de décoration à la page et… ça a marché !
Mais revenons à la technique !
Dans les années 1880 Ferdinand FERT avait acheté une ancienne magnanerie (atelier de d'élevage et de traitement des vers à soie - Cf. article sur la sériciculture) désaffectée située non loin du fameux pont roman de Nyons, sur les bords de l’Eygues, un affluent du Rhône qui passe à Nyons, mais qui possédait encore sa roue à aube et son bief capable de fournir de l’énergie hydraulique.
A Nyons, elle ne fonctionne plus, mais pour vous illustrer comment fonctionnait l'énergie hydraulique, je suis allé chercher dans mes archives une vidéo que j’avais tourné en Dordogne pour illustrer un jour la fabrication du papier, il y a un peu plus de 150 ans. C’est une vieille roue à aube qui fonctionne encore avec un tout petit filet d'eau d'un ruisseau…
Vous allez ainsi comprendre le choix de Ferdinand FERT pour cette vieille bâtisse… qui possédait déjà au plafond l'équipement de transmission de l'énergie par axe central, débrayage, poulies et courroies de cuir...
Avant d’aller plus loin... une petite initiation au tissage !
Le tissage est un procédé d’assemblage des fils sur un métier à tisser, qui permet d’obtenir « un tissu chaîne et trame ».
Il consiste à entrecroiser les fils de chaîne (fils tendus dans le sens de la longueur du métier à tisser et dont le nombre détermine la largeur du tissu) et les fils de trame (fils tendus dans le sens de la largeur du métier à tisser, par une « navette », qui va et vient d'un côté à l'autre du métier à tisser et dont la bobine ou canette qui l'alimentait en fil de trame a donné son nom aux fameux « canuts » lyonnais).
Sur les métiers à tisser les scourtins que nous allons découvrir, les aiguilles ont strictement le même rôle que les navettes d'un métier à tisser à plat à l'ancienne comme il est illustré ci-dessous.
Métier à tisser à plat ancien Navette possédant au centre la Canette qui est une bobine de fil.
Mais dans le cas du scourtin, le tissage est circulaire et le fil de trame est celui qui va s’enrouler en spirale :
À gauche le « tissu chaine et trame » indique bien l’orientation des fils,
À droite les fils de chaine sont en étoile et le fil de trame (le fil blanc) en spirale !
Quand on veut tisser quoi que ce soit sur un métier à tisser à plat, on commence donc par tendre les « fils de chaine ».
Le tissage circulaire s'effectue sur un métier à tisser rond (ou parfois carré) et a pour différence d'avoir un nombre de fils de chaîne impair en étoile. Ci-dessous, il y en a 21, mais dans le cas du scourtin traditionnel qui nous intéresse on en utilise 39 au minimum (question de diamètre du scourtin).
Ainsi, on commence par le montage des « fils de chaîne » qui sont fixes (sur la photo d’un métier à tisser des napperons qui suit, ils sont blancs).
Puis on va passer le « fil de trame », comme ci-dessous, un brin de cordelette de fibres de coco écru alternativement au-dessus et en-dessous des fils de chaîne suivants. Et ça donne ça :
C’est exactement comme cela que ça se passe sur les métiers à tisser les scourtins de Ferdinand FERT, mais au début du tissage, il n’y a pas de fils de chaine mais des aiguilles.
Et elles ne seront remplacées par les vrais « fils de chaine » du scourtin qu’au dernier moment quand les aiguilles seront « tirées » une à une par la « tireuse » vers le centre, entrainant derrière elles la cordelette qui constitue le fil de chaine dont la scourtinière aura accroché une boucle au crochet périphérique de l’aiguille.
Mais revenons à notre scourtinerie
Au départ, il convient de laver les écheveaux de fibres de coco brute, toujours aujourd’hui importées de la province indienne du Kérala à l’aide d’un autoclave pour les débarrasser de toute impureté (essentiellement pour des raisons d’hygiène car les scourtins vont être au contact de la pâte d’olive, ne l’oublions pas) puis la scourtinière va les faire sécher au grand air.
Pour les besoins du tissage des scourtins décoratifs et des tapis, certains vont en plus, être teint de toutes les couleurs.
Véronique FERT nous rappelle que ça n’a aucune importance si les fibres de coco prennent l’eau ou le soleil, elles sont imputrescibles !
De l’atelier de fabrication de scourtins à la main vers 1860 à l’atelier de Ferdinand FERT, il y a manifestement eu une évolution !
... Voici un atelier de scourtinerie manuel en 1860... Toute la famille est obligée de participer !
Voici celui de Ferdinand FERT resté dans son jus depuis 1882 conçu pour 5 ouvriers seulement !
On y découvre trois types de machines qui ont chacune leur rôle bien déterminé : le rouet, le métier à tisser la trame, et la tireuse pour passer la chaine et permettre l’assemblage.
1. Le rouet mécanique
Il est destiné à embobiner les écheveaux de cordelette de fibre de coco de façon régulière pour pouvoir les faire se dérouler correctement afin d'approvisionner les métiers à tisser en automatique sans risquer des bourrages.
On en fait donc de belles bobines cylindriques qui se déroulent par l'intérieur.
2. Les métiers à tisser d’origine
Dans l’atelier il y en a quatre au total tous conçus... il y a 150 ans pour tisser les fils de trame en spirales verticales... dont un double qui peut tisser les deux parties du scourtin en même temps, à savoir, le fond et le dessus, qui seront assemblés ensuite sur une tireuse spéciale.
Le métier à tisser vertical double devant lequel on remarque les différents moyeux
Le scourtin est, de fait, fabriqué en deux parties.
Il y a le fond du scourtin, un disque qui mesure 60 cm de diamètre et présente au centre un trou de 12 cm pour laisser passer l’axe de la presse, au moulin à huile.
Et il y a la partie supérieure du scourtin qui est une couronne de 60 cm de diamètre extérieur qui va venir se raccorder au fond du scourtin grâce à ses fils de trame, et présente une ouverture de 36 cm de diamètre intérieur qui termine le dessus du couffin par lequel on charge la pâte d’olive.
Il y a donc plusieurs types de moyeux pour le tissage des fils de chaine, un pour le fond, un second pour la couronne.
De même, il y en a plusieurs autres pour tisser les couronnes additionnelles des tapis qui viendront s’assembler à un fond standard de scourtin.
Moyeu de la roue de tissage des fils de chaine en spirale,
Sur lequel sont fixées les aiguilles...
Le nombre d'aiguilles utilisées va de 39 à 51, 77, 117 et jusqu’à 273 selon que la scourtinière va faire un paillasson, un scourtin, ou un tapis.
C'est toujours un nombre impair (problème d'intervalles... mais je ne vais pas m'appesantir par égard pour ceux pour qui les maths n’est pas leur tasse de thé !)
Et avant de poser les plateaux d'aiguilles de façon verticale sur l’axe des métiers à tisser pour tisser le fil de trame des scourtins standard, la scourtinière doit d'abord les préparer en installant les aiguilles une à une à plat sur le moyeu, ce que Frédérique FERT fait devant nous en quelques minutes avec la dextérité de la scourtinière professionnelle !
Mise en place des aiguilles sur moyeu standard de 39 aiguilles
Pour le fond et le dessus d’un scourtin standard.
Chaque aiguille, qui fait 45 cm de long, est munie à chaque extrémité d'un crochet en forme de chas d’aiguille mais ouvert sur le côté.
Ces crochets servent à la machine qui va prendre le relai du métier à tisser, « la tireuse » :
- d'un côté, pour tirer sur les fils de chaine en boucle que va accrocher la scourtinière un à un, au chas des aiguilles en les déroulant d’une bobine, sur la périphérie de l'ouvrage afin que « la tireuse » les fasse passer à travers le fil de trame monté en spirale en alternance, tantôt dessus tantôt dessous une aiguille, par le métier à tisser.
- puis à l’autre bout, les crochets servent à « la tireuse » pour entraîner les aiguilles vers le centre puis à les décrocher du moyeu de façon automatique quand elles arrivent en fin de course au centre de l'ouvrage une fois le fil de chaine tendu et serré.
Les fils de trame seront ainsi systématiquement passés en double, et borderont l’extérieur du scourtin en l’empêchant de s’effilocher.
Au centre, la scourtinière n’aura plus qu’à les arrêter au crochet pour laisser le passage de la vis de presse, en crochetant les boucles comme le ferait une dentellière, ou en les nouant s’il s’agit d’un tapis qui n’a pas besoin de trou au centre.
Installation des aiguilles sur le moyeu, et aiguilles vues de prés
(cf. le chas en forme de crochet...)
Une fois toutes les aiguilles fixées sur le moyeu, il n’y a plus qu’à l'installer sur l’axe du métier à tisser sur lequel la scourtinière le boulonne...
Puis elle va installer délicatement les premières spirales du fil de chaine sur la roue en faisant tourner le métier à la main deux ou trois fois pour l’amorcer, et c'est parti !
Et le métier à tisser met 6 minutes pour monter le fil de chaine jusqu’au pourtour. Le diamètre atteint est alors de 60 cm.
La scourtinière va repérer immédiatement et intervenir éventuellement pour supprimer les quelques défauts - quelquefois une aiguille qui a sauté ou s’est tordue, ou encore un nœud de raccordement entre deux bobines qui n'est pas passé normalement dans les filières.
Elle fait donc ça à la main avec un outil en forme de crochet ou replace l'aiguille correctement en la détordant !
Puis, en un deuxième temps, elle procède de la même façon pour tisser la trame de la partie supérieure du scourtin mais en utilisant un moyeu de plus grand diamètre puisqu’il ne s’agit que de confectionner une couronne de 60 cm de diamètre extérieur et de 36 cm de diamètre intérieur.
L’un des deux métiers peut faire à la fois le tissage du fond du scourtin et sur la deuxième roue celui de la partie supérieure.
Les deux autres métiers de l’atelier ont été modifiés par Paul FERT, le père de Frédérique, qui les a équipés en utilisant la même technique, de moyeux de grandes dimensions pour pouvoir tisser les fils de trame en spirale à plat des deux ou trois couronnes concentriques pour confectionner un tapis rond d’un diamètre jusqu’à 2,50 m, avec les mêmes aiguilles, et non plus verticalement mais horizontalement.
Mise en place des aiguilles sur un moyeu de grand diamètre horizontal pour tapis de 2,50 m,
Sur lequel elles seront boulonnées avec une couronne d’acier pour les empêcher de sauter.
Ainsi, pour faire des tapis de grand diamètre, elle va devoir tisser jusqu’à trois couronnes successives de fils de trame en partant d’un diamètre de scourtin standard à l’aide du moyeu de 39 aiguilles et de deux moyeux supplémentaires d’un diamètre plus grand qui supportent respectivement 77, 117 et même 273 aiguilles comme celui en photo.
C’est ce que l’on a pu apercevoir sur les deux métiers à tisser de grand diamètre qui travaillaient à plat lors de notre visite.
Sur les 2 métiers à tisser de grande taille la spirale de la trame se tisse de façon horizontale.
Et comme elle l’avait fait pour assembler les deux parties d’un scourtin standard, la scourtinière utilisera les boucles des fils de chaine qu’elle aura pris soin de laisser dépasser d’une bonne longueur d’aiguille pour assembler les deux ou trois couronnes concentriques entre elles à l’aide d’un crochet exactement comme le font les dentellières (c’est juste un problème de diamètre des couronnes dont on peut se douter, en examinant la dernière photo, que les ondulations deviennent de plus en plus larges vers la périphérie).
Mais ça ne se remarque pratiquement pas au final quand elle assemble les différentes couronnes les unes aux autres, surtout s’il y a changement de couleur de fil à la jonction de deux couronnes successives !
3. « Les tireuses »
Il y a deux tireuses avec leur plateau conique en forme de chapeau chinois. L’une pour les fonds de scourtin standard, les paillassons ou les petits tapis, l’autre pour les couronnes supérieures de scourtin standard et les couronnes concentriques des petits tapis :
Une des deux tireuses avec son plateau conique et son galet à picots.
Dans le cas d’un scourtin standard, la scourtinière a commencé par tisser le fond du scourtin sur un métier à tisser la chaine, sur lequel elle va laisser les aiguilles.
Par ailleurs elle a tissé la couronne supérieure sur un des métiers à tisser à partir d’un moyeu plus large qui a le même diamètre que l’ouverture du dessus, à savoir 36 cm, mais en partant d’un moyeu de ce diamètre.
Dès que le tissage du fil de chaine aura été fini, elle passera les deux plateaux munis des aiguilles tour à tour sur les tireuses.
Elle commence par placer la couronne supérieure à plat sur le plateau de l’une des deux tireuses en forme de cône muni de picots, (s’il est conique c’est pour permettre à la machine de décrocher plus facilement l’aiguille en fin de course).
Et elle met en route la tireuse qui va tirer à travers les fils de chaine, une boucle du fil de trame qu’elle accroche au crochet de l’aiguille à la périphérie.
Et la tireuse fait passer le fil de trame en double entre les mailles du fil de chaine jusqu’au centre du scourtin où une came abaisse alors l’aiguille et la décroche automatiquement.
Avec un crochet, la scourtinière finit l’ouverture pour faire se relier chacune des petites boucles du centre afin de confectionner un rebord qui ne s’effilochera pas.
Pour ce qui concerne les fils de chaine de la couronne supérieure du scourtin, elle accroche au chas ouvert de l’aiguille sur le pourtour du scourtin une boucle d’une bobine de fil de chaine dont elle prépare une longueur de deux fois celle du rayon du scourtin.
Ainsi l’aiguille, tirée vers le centre, par la machine va faire passer en double le fil de chaine à travers les fils de trame montés en spirale, tout en laissant la moitié du fil de chaine dépasser sur la périphérie, puis la décrochera et passera à la suivante en retirant une à une les aiguilles en fin de course tout en laissant au centre du scourtin une petite boucle qui servira à la finition.
On voit apparaître autour de la couronne les boucles libres des fils de chaine
Qui vont s’enfiler à travers les fils de trame du fond.
Cette même tireuse va servir également à assembler les deux parties du scourtin, à savoir le fond et la partie supérieure ouverte pour former un couffin.
La scourtinière place la couronne de la partie supérieure avec ses fils de chaine déjà passés sur le plateau conique à picots de la tireuse puis place au-dessus le fond du scourtin muni de ses aiguilles, elle rabat le galet à picots pour empêcher l’ensemble de bouger.
Pour cela, au lieu d’accrocher une boucle de fil de chaine au crochet extérieur des aiguilles, elle accroche en fait les boucles laissées suffisamment longues des fils de chaine de la partie supérieure qui se trouve dessous le fond.
Puis chaque boucle de fil de chaine de la couronne passe à travers les ondulations du fil de chaine du fond pour rapprocher les deux parties du scourtin, les serrer l’une contre l’autre et l’aiguille se décroche automatiquement quand elle arrive au centre en laissant une petite boucle dépasser dans le trou de passage de l’axe de presse.
C’est la dernière étape où une machine assiste le travail manuel.
La scourtinière terminera le centre du scourtin au crochet ou l’attachera à l’aide d’un nœud.
La scourtinière relève le galet à picots et la galette est terminée, il suffit de la retourner
5. Finition manuelle
Pour finir le scourtin, voire le tapis, pas de machine, mais la main experte des scourtinières avec leurs crochets.
Cette étape permet de conserver le scourtin de forme traditionnelle ronde en maintenant un trou au centre pour pouvoir le centrer et laisser passer l’axe de la presse.
Le scourtin fini, et la fierté du bel ouvrage des scourtinières !
Le centre est donc terminé à l’aide de crochets et d’aiguilles pour arrêter les fils de chaine, et pour les tapis, il suffit de boucher le trou en faisant se rejoindre au crochet les boucles des fils de chaine.
Enfin Frédérique va nous montrer comment dans le cas où l’on a tissé un scourtin sans rebord en forme de tapis, on peut le rendre ovale en travaillant les fils de chaine en les tirant plus ou moins de façon à les faire se rejoindre au centre de droite à gauche avec le crochet.
Et Frédérique joint le geste à la parole pour nous montrer comment elle s’y prend en s’installant confortablement sur sa chaise en serrant le tapis plié en deux entre ses jambes.
Ici Frédérique nous montre la technique pour rendre un tapis ovale… C’est physique !
Et avec son crochet, en tirant sur les boucles des fils de chaine au centre, elle arrive à donner une forme parfaitement ovale au tapis en bouchant le trou central comme le ferait une dentellière avec ses crochets. Manifestement, c’est plus physique avec de la cordelette de fibre de coco qu’avec du fil de coton !
Et voilà le tapis ovale fini !
Et avant de quitter l’atelier il faut aller faire un tour au rez-de-chaussée où se trouve le musée de la scourtinerie et la boutique où est vendu tout un assortiment d’objets fabriqués à partir de la technique du scourtin !
Et voilà, la visite est terminée.
Ce n’est pas évident de commenter les différentes phases de la fabrication d’un scourtin, alors si vous n’avez pas compris l’une des phases, n’hésitez pas à me demander un éclaircissement !
MERCI Frédérique !
Et une petite vidéo de l'émission télévisée "Les Balades de Goûtez-voir" va récapituler en 26 minutes ce que vous avez découvert ci-dessus quant à la région de Nyons !
BIBLIOGRAPHIE
"Gallica", la bibliothèque numérique de la BNF (Bibliothèque Nationale de France) qui est pour moi une source inépuisable de documents libres de droits !
Petite vidéo d'une minute 42 secondes, sur un moulin à huile qui utilise encore des scourtins avec une presse hydraulique à 300 bars de pression :
Vidéo de 13 minutes sur l'extraction d'huile d'olive à l’ancienne avec scourtins à Callian dans le Var :
Et il y en a encore un producteur d'huile d'olive à Zamora (en Espagne) qui travaille comme on le faisait au XVIIIème siècle! Voici une vidéo de 11 minutes qui vous laissera abasourdi !
La Scourtinerie - Site officiel : https://scourtinerie.com/ et vidéo https://youtu.be/M6GBxteiKJU?t=961