LE BERLINGOT DE CARPENTRAS
Pour accompagner cette visite, une musique de circonstance de Jacques Brel…
Au cas où vous souhaitiez l'arrêter, il suffit de cliquer ci-dessus sur les symboles :
Une des spécialités du Comtat Venaissin, et de Carpentras en particulier, est bien sûr la confiserie de fruits dont est issu le BERLINGOT !
Mais connaissez-vous l’histoire de cette petite friandise connue à travers le monde entier ?
Voici ce qu’en dit Lucile CLEMENCOT de l’Office de Tourisme de Carpentras :
- Longtemps, le miel a servi à édulcorer, confire, et conserver.
Pourtant, La Canne à Sucre était connue en Asie et en Mésopotamie dès la fin du VIIe siècle avant J-C.
Le Conquérant Grec Alexandre le Grand (4e siècle avant JC), en trouva dans la vallée de l’Indus et l’appela « Miel de Roseau ».
Dioscoride, médecin grec du 1ersiècle, l’utilisa en médecine comme cordial et laxatif.
Les Perses, au 5e siècle, mirent au point le « pain de sucre ».
Les Arabes répandirent « le sucre » en Afrique du Nord et en Andalousie.
Les Croisés, à partir du XIIème siècle, entrant en contact avec les civilisations orientales, prirent goût à ce « sel blanc ».
Dès lors, on vit apparaître les friandises chez les Princes : elles étaient servies comme « issues de table », à la fin des repas ou serrées dans des drageoirs comme « épices de chambre » pour aider la digestion et parfumer l’haleine.
Au 16e siècle, la culture de la canne à sucre se généralisa dans les pays du nouveau continent ; en même temps, sous l’influence de l’Italie, la vogue des confitures se répandit.
Les recettes de mets sucrés quittèrent peu à peu le domaine étroit de l’apothicairerie et la table des princes pour gagner la cuisine de tous.
Au 17e siècle, la cuisine française s’imposa et la France devint le 1er producteur de sucre en Europe, grâce à ses colonies d’Amérique notamment.
Le passage au Sucre de Betterave, mis au point par les travaux de Marggraf au XVIIe siècle, a constitué une concurrence qui, n’a pas pour autant détruit le sucre de canne. -
Bref, grâce au sucre, s’est installé en haute Provence l’artisanat de la confiserie, une façon de conserver les fruits qui mûrissent en abondance dans cette région.
Étymologie du nom « BERLINGOT »
La petite histoire, toujours elle, rapporte que c’est un certain Sylvestre, cuisinier du Cardinal Bertrand de GOT (qui va devenir, à l’instigation insistante et contraignante du Roi de France, Philippe-Le-Bel, le 1er Pape d’Avignon sous le nom de Clément V lorsqu’il séjourna dans le château de son neveu à Malaucène, à deux pas de Carpentras), qui, ayant confectionné un flan caramélisé se retrouva avec beaucoup trop de sirop caramélisé.
Pour l’utiliser et ne rien gâcher, à une époque où la nourriture avait une grande importance, il eut l’idée de le recuire en y rajoutant du citron et de la menthe. Puis, étiré en un long colombin, il le découpa en petit coussinets avec une paire de ciseaux, et il offrit au Cardinal une boite de ces friandises avec un petit texte flattant l’honneur de « Bertrand de GOT ».
De son nom serait issu l’appellation BERtrand de GOT devenue en langage vernaculaire BER-LIN-GOT.
On retrouve une autre origine de l’appellation dans les écrits de Frédéric MISTRAL qui utilise le mot BERLINGUETO pour désigner une spécialité culinaire provençale qui est en fait une brouillade d’œufs aux herbes servie avec une sauce à la menthe verte, c'est-à-dire un plat cuit sans couvercle à l’instar de ce mot « BERLINGUETO » qui désignait en vieux français une « berline » coupée et découverte, à savoir, sans capote.
En provençal toujours, « berlingaù » veut dire « osselet » ces petits os de moutons dont se servaient les enfants pour jouer comme avec des dès en les lançant en l’air et donnant une valeur à la façon dont ils retombaient sur l’une de leurs faces, tout comme « berleng » en vieux français, qui désigne un jeu de dés, plus simplement.
Quelques linguistes pensent que cela pourrait aussi provenir de la désignation des célèbres sucres d’orge italiens qu’ils nomment « BERLINGOZZI ».
L’histoire du Berlingot se confond avec celle des Confiseurs de Carpentras…
Bref, si l’origine de ce nom remonte au Moyen Age, il se passe une longue période entre 1308, date de leur première apparition et 1844 date de leur « réinvention », on entend plus beaucoup parler, si ce n’est comme un bonbon dont se servent les apothicaires pour faire saliver leurs malades, voire pour leur faire absorber sans trop de difficulté toutes sortes de préparations médicamenteuses dont le goût du sucre masque l’amertume.
Ce dont on est sûrs, c’est qu’un pâtissier-confiseur de Carpentras, du nom de François-Pascal LONG eut l’idée en 1844, donc 550 ans après Sylvestre, d’utiliser les surplus de sirops naturels provenant des fruits confits dont les ateliers foisonnaient au XIXème siècle dans la région entre Apt et Carpentras ; d’ailleurs, le fruit confit est toujours une tradition de la confiserie d’Apt qui existe encore de nos jours sous le nom de « Aptunion », à l’origine coopérative de producteurs de fruits confits, une entreprise qui approvisionne la plus grosse partie du marché Français actuel en fruits confits et marmelades pour préparations agro-alimentaires comme les yaourts aux fruits, qui représente un gros exportateur pour le monde anglo-saxon.
Plaque commémorative à la devanture de ce qui fut sa 1ère boutique
En 1844, donc, François-Pascal LONG utilisa non pas du caramel mais ce sirop coloré et parfumé provenant de la fabrication des fruits confits en procédant à une deuxième cuisson pour l’épaissir et en rajoutant de la menthe poivrée, une plante aromatique dont on se sert souvent en Provence.
Il obtint ainsi un ruban de pâte irisée auquel il rajouta un ruban de patte blanche composée de sucre blanc uniquement. Ainsi il obtenait un ruban de couleur ambre avec des nervures blanches très originales. En principe, je ne sais pourquoi mais je m’en doute, ces nervures blanches ne dépassent jamais le nombre de 40, cela tient probablement à la façon de les introduire en les enroulant autour de la masse de caramel recuit au départ avant d’en étirer la pâte (cf. les photos de la fabrication).
D’autres confiseurs de la région lui emboitèrent le pas utilisant ainsi les sirops des fruits confits qu’il s’agisse de cerises, d’abricots, de poires, de prunes, de figues, de fraises et même de melons qu’ils ne pouvaient utiliser à autre chose pour confectionner ces bonbons.
Seulement voilà, le berlingot craignait l’humidité qui présentait deux inconvénients majeurs pour ces friandises, celui de « péguer » (en provençal ça veut dire « coller ») et cela lui faisait perdre sa belle couleur d’origine, et donc, il ne pouvait qu’être vendu régionalement sur les foires et les marchés.
En 1851, Gustave EYSSERIC, un autre confiseur de Carpentras (1824-1897) pensa qu’avec des moyens modernes la production artisanale pouvait passer au stade industriel et non seulement il rajouta du sucre fin et de la cassonade pour obtenir une pâte plus onctueuse parfumée à la menthe poivrée, mais aussi au citron et à l’anis, et toujours rayée de sucre blanc,
Une des premières étiquettes des « Berlingots » EYSSERIC et TAVERNIER
Mais en plus, Gustave EYSSéRIC eut l’idée de conditionner les berlingots dans des boites métalliques joliment décorées en introduisant dans chaque boite une toute petite boite métallique ronde au couvercle perforé de trous qui renfermait une dose de déshumidificateur chimique pour empêcher les bonbons de se coller entre eux.
Ces boites furent le déclencheur du succès du BERLINGOT, petite friandise bon marché qu’il était de bon ton d’offrir. Du coup, ces boites firent le bonheur des collectionneurs qui les recherchent et se les échangent.
Ces trouvailles furent récompensées en 1874 et 1875 par un prix à l’Exposition Internationale de Paris. Et le jury Vauclusien de l’Exposition consacra l’œuvre de Gustave EYSSéRIC en lui accordant sa plus haute récompense pour la création de l’industrie du « Berlingot de Carpentras ».
Louis LONG, le successeur de François-Pascal LONG, poursuivit son œuvre en mettant au point une machine avec la maison « LETANG », une entreprise spécialisée dans la confection d’appareils pour les confiseurs, à laquelle il donna le nom de « Berlingotière » qui permettait la découpe rapide des rubans de pâte comme si elle était faite avec une paire de ciseau, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, pour donner aux coussinets la forme de petits tétraèdres.
Devenu âgé, Louis LONG vendit son affaire et sa clientèle de gros et de détail en 1909 à un couple de commerçants bien connus de Carpentras, Eugène et Pauline RAQUILLET, qui souhaitaient assurer l’avenir de leurs trois fils.
Une nouvelle période de développement commence et c’est la fabrication des Berlingots sous vide avec la mise en service de la première chaudière qui permet à Auguste, l’un des fils RAQUILLET qui invente une machine à fabriquer les berlingots en continu et qui les refroidit immédiatement pour les conditionner. En effet, des industriels s'intéressant de plus en plus à ce marché, mirent en service sous les marques Bertin, Hansella et Jean Ratti de nouvelles chaudières, découpeuses, rouleuses et des pétrins automatiques.
Le « Berlingot de Carpentras » rayonna dès lors dans toute la France et fit les délices, entre autres, des députés qui ne cessaient de sucer ces bonbons au Parlement pour se faire la voix forte et l’haleine fraiche.
Et Auguste lança une déclinaison du Berlingot en le préconisant contre le mal de mer (du fait qu’il fait énormément saliver), mais aussi pour rafraichir l’haleine du fumeur, en ventant même le plaisir du berlingot apéritif parfumé à l’absinthe.
Un pharmacien de MAZAN de ses relations suggéra à Auguste d’y rajouter de la phénophtaléine pour le vendre dans sa pharmacie comme bonbon dépuratif…
La multiplication des artisans confiseurs ont fait le bonheur de collectionneurs de boites de Berlingots. Certains en possèdent plusieurs centaines… (cf. en fin d’article… vous en trouverez quelques dizaines).
Je me dois de citer aussi la participation de FRENANDEL à l’essor du Berlingot de Carpentras puisqu’il en tourna un film au nom évocateur « BERLINGOTS et Cie » dont je vous ai retrouvé l’affiche et le scénario…
L’affiche qui a été choisie parmi une demi-douzaine d’autres…
Distribution et Scénario du film "BERLINGOTS et Cie"
Ainsi que quelques boites que n’a pas manqué d’éditer le confiseur EYSSéRIC à la suite de la sortie du film !
Malheureusement la guerre de 1939 provoqua le déclin du « Berlingot de Carpentras » du fait même du rationnement qui désavantageait les confiseurs au profit des confituriers qui, eux, permettaient le traitement d’un plus grand tonnage de fruits que les confiseurs.
En 1962, il ne restait plus que cinq entreprises de confiserie à Carpentras : les entreprises Eysséric, Bonneru et Raquillet-Chabas ainsi que les confiseries Duparc et du Mont-Ventoux.
Et, hormis quelques petits artisans confiseurs, il n’en reste plus qu’une seule en 1994, la « Confiserie du Mont Ventoux » qui fut reprise par Thierry VIAL, un homme passionné du terroir qui est en train d’essayer de donner un nouvel élan à cette spécialité très ancienne : « LE BERLINGOT de CARPENTRAS » qui ne pouvait ni ne devait disparaître !
La fabrication en elle-même…
Première étape, la cuisson du sucre cristallisé.
Le confiseur travaille sur deux bassines en même temps : quand l'une démarre à peine en cuisson,
L'autre est déjà proche des 160°C requis, à savoir, la température du sucre cuit.
Outil essentiel, le thermomètre, qui établit avec précision la température du sucre.
Gare aux brûlures ! Le glucose s'incorpore ensuite quand le sucre est bien fondu.
Puis le sucre est versé sur une grande surface plane (autrefois du marbre, aujourd’hui une table en acier inox), sur laquelle il refroidira peu à peu,
On va y incorporer les arômes et le malaxer à plusieurs reprises pour l’homogénéiser.
On peut y incorporer l'arôme et le colorant que l’on souhaite, comme on le fait pour tout bonbon de sucre cuit.
Autrefois, on se servait essentiellement des sirops résiduels des fruits confits qui possédaient en eux-mêmes l’arôme et la couleur souhaitée la plupart du temps.
Les berlingots se caractérisent par des rayures blanches décoratives qui font, avec sa forme, tout le charme de ce bonbon à l'ancienne. Mais comment les obtient-on, sont-elles peintes ? Bien sûr que non !
On prélève une partie du sucre cuit parfumé et coloré que l'on étire autour d'un crochet: vous remarquerez que le confiseur se sert e permanence de gants car la pâte est encore très chaude, même si elle ne fait plus 160° !
Par l'effet mécanique et le lent refroidissement, le sucre est étiré à plusieurs reprises sur un crochet et il se recristallise et blanchit naturellement : cela s'appelle « le sucre tiré ».
Reste alors à incorporer ce sucre tiré au sucre coloré :
On étire le sucre tiré en fine « cordelette » que et l’on pose sur la masse de sucre cuit (ci-dessous verte ou rouge, selon le colorant ajouté), en formant comme des lacets qui zigzaguent à la surface brillante de la pâte.
Et en version rouge à la menthe, ou jaune au citron !
On forme ensuite un rouleau grossier avec la pâte et son filet blanc, comme une colonne de Buren en sucre... et on va la confier à une « étireuse » qui présente des rouleaux horizontaux qui se rapprochent en tournant, jusqu’à atteindre la taille du bonbon, à savoir 2 cm de diamètre environ.
Le boudin s'affine alors en un mince cordon de sucre aux couleurs « torsadées »
Enfin on va faire passer ce cordeau dans une autre machine, la fameuse « berlingotière », dont j’ai trouvé deux représentations du modèle original de la maison « LETANG » :
Et un petit montage vidéo… d’un modèle plus récent vous en dira plus!
La version moderne et électrique de la confiserie du Mont Ventoux va « préformer » les berlingots.
Et à la sortie un simple ventilateur ménager refroidit le sucre.
Et les berlingots s'étalent alors sur de grandes plaques. Une fois totalement refroidis, il ne restera plus qu'à les briser à la jointure, à la main...
Le Berlingot de Carpentras a alors une forme de petite pyramide à base triangulaire ou plus exactement d’un tétraèdre d'un centimètre de côté environ. La concentration du sirop lui donne une structure dure et translucide.
Le Tétraèdre, un des 5 Corps Platoniciens présentant 4 faces, 4 sommets et 6 arêtes.
Les confiseurs le présentent en différentes couleurs qui de fait indiquent son goût, et ont établit pour cela un code de couleurs : le rouge pour la menthe, le vert pour l’anis, le jaune pour le citron, et l’orange pour l’orange.
Actuellement de nouveaux parfums complètent cette gamme : café, chocolat, melon, cerise des Monts de Venasque, lavande, fraise de Carpentras, mandarine, violette, pomme, framboise et même Cola et… Carambar.
La caractéristique du Berlingot de Carpentras est d'être toujours rayé de blanc et ces stries sont au nombre de 40. Elles sont le résultat de l'ajout de sucre cuit neutre longuement battu pour lui donner blancheur et opacité.
Voilà vous savez presque tout sur le BERLINGOT DE CARPENTRAS !