LA REVANCHE D’ORWELL SUR HUXLEY EST ÉCLATANTE

AVEC LE RETOUR DE TRUMP AU POUVOIR,

LA REVANCHE D’ORWELL SUR HUXLEY EST ÉCLATANTE

 

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© Dessin de Coco pour le n°47 de FUTUR, le magazine d'Usbek & Rica

 

Notre époque ressemble-t-elle au cauchemar totalitaire mis en scène dans 1984 de George Orwell ? Ou plutôt au Meilleur des Mondes imaginé par Aldous Huxley, où le bonheur (factice) importe plus que la liberté ? Chez Usbek & Rica, nous avons longtemps donné raison à ce dernier. Mais avec le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, la revanche d’Orwell semble éclatante, comme nous l’expliquons dans l’édito du nouveau numéro de notre magazine FUTUR (n°47), en librairie ce jeudi 17 avril.

 

La Revue USBEK & RICA dont je suis régulièrement les coups de gueule, car justes et bien documentés, sans parti pris ni faux-fuyant, vient de publier un article très intéressant que selon sa demande je m’empresse de diffuser !

 

 

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Blaise MAO

- 16 avril 2025

 

Vous êtes plutôt Voltaire ou Montesquieu ? Duras ou Sagan ? Beatles ou Stones ? Federer ou Nadal ? Gryffondor ou Serpentard ? Quand on parle de culture (pop mais pas que), on est très vite sommé de choisir son camp.

 

Et il faut bien reconnaître que l’exercice a quelque chose d’amusant – surtout lorsque passion et mauvaise foi s’unissent pour justifier des choix improbables.

 

Quand on parle du futur, c’est la même histoire. Tôt ou tard dans la discussion, on se retrouve contraint de choisir entre George Orwell et Aldous Huxley.

 

Entre le totalitarisme sans faille de 1984 et la dictature du bonheur factice du Meilleur des mondes. Comme s’il fallait forcément donner raison à l’un ou l’autre des deux auteurs britanniques – dont les œuvres sont plus complémentaires que l’on ne veut bien l’admettre.

 

Un tel empressement à trancher a quelque chose de… totalitaire sur le plan intellectuel.

 

Aucun de ces deux classiques de science-fiction ne suffit à lui seul pour cerner notre époque. Prétendre cela, c’est faire insulte à tant d’autres auteurs clairvoyants, à commencer par Neal Stephenson et Iain M. Banks, dont les romans comptent d’ailleurs parmi les livres de chevet des barons de la tech.

 

Appétit pour la distraction

 

Pourtant, depuis juin 2010 et la sortie du premier numéro d’Usbek & Rica, il nous est arrivé plus d’une fois de mettre en scène le duel entre Orwell et Huxley. Le plus souvent pour donner raison à ce dernier.

 

Publié en 1932 – quand Staline est en passe d’écraser toute dissidence, que Mussolini est déjà au pouvoir et que Hitler est sur le point d’y accéder –, Le Meilleur des mondes épouse parfaitement les enjeux du premier âge numérique (2007–2020).

 

Celui de la plateformisation de l’économie et des « GAFAM » tout-puissants, lorsque la Silicon Valley avait réussi à faire croire au reste du monde qu’elle était une terre « progressiste ».

 

Dans le roman, il est question d’eugénisme décomplexé, de sacralité de la productivité, mais aussi et surtout d’amour de la servitude. Ou comment une société est prête à troquer la liberté pour un bonheur factice, à grand renfort de psychotropes.

 

Pas besoin d’avaler de « soma » comme dans « l’État mondial » imaginé par le romancier : le smartphone et les promesses du scroll infini font déjà office de machine à dopamine bien huilée

 

« Huxley disait de son époque qu’elle avait échoué à prendre en compte l’appétit infini des hommes pour la distraction. Je pense qu’on a fait la même chose avec le design de nos technologies digitales », nous confiait en 2017 James Williams, ancien responsable de la stratégie publicitaire de Google devenu chantre de l’ethics by design.

 

Un constat lucide qui résume bien le propos du livre : c’est moins ce que l’on craint que ce que l’on désire qui peut nous contrôler. Imparable.

 

De quoi ringardiser le totalitarisme orwellien, qui depuis le début du xxie siècle semblait réservé à l’ancien bloc de l’Est, à Moscou ou Pékin, et absent des démocraties occidentales, quand bien même cela fait un moment déjà que celles-ci donnent dans la cybersurveillance.

 

« L’ignorance, c’est la force »

 

Mais avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, la revanche d’Orwell sur Huxley est éclatante.

 

L’heure n’est plus à la distraction numérique mais au piétinement de la pensée libre et de la vérité scientifique. Depuis son arrivée aux commandes, tout se passe comme si la nouvelle administration américaine cherchait à singer le monde de Big Brother.

 

Quand Orwell imagine une « novlangue » pour anéantir la pensée et un héros qui consacre ses journées à corriger les archives au « ministère de la Vérité », Trump, lui, supprime des milliers de pages Web, censure les mots-clés qui le dérangent et rebaptise le golfe du Mexique « golfe d’Amérique ».

 

Quand Orwell met en scène l’interdiction de la lecture et de l’écriture, activités hautement subversives, Trump et ses sbires, suivant les pas du président argentin Javier Milei (voir FUTUR no 47), font la chasse aux fictions qui parlent de racisme, d’homosexualité et de transidentité et aux laboratoires de recherche qui travaillent sur ces sujets.

 

 

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Manifestation contre le programme de surveillance américain PRISM à Francfort,

 En Allemagne, en juillet 2013 / © ollo - iStock

 

Quand les protagonistes de 1984 se réunissent chaque jour à la même heure pour participer aux « deux minutes de la haine », rituel cathartique au cours duquel ils explosent de colère collectivement devant le « télécran », Trump et son « ami » Elon Musk diffusent eux aussi leur dose de haine par écran interposé, dans une pluie quotidienne de messages pointant toutes sortes de boucs émissaires.

 

Enfin, quand Big Brother martèle que « l’ignorance, c’est la force », l’historien des sciences américain Robert Proctor, dans les colonnes du Monde, assure que le second mandat de Trump ouvre un « âge d’or de l’ignorance » dans son pays.

 

Dépasser le techno-fascisme

 

On pourrait jouer longtemps au jeu des comparaisons entre « l’Oceania » de 1984 et les États-Unis de 2025. Sauf que nous n’en avons pas la place ici, ni même très envie.

 

« Sorry Aldous », mais c’est George qui a gagné. Pour l’instant.

 

Car il n’est pas trop tard pour empêcher le techno-fascisme de contaminer l’Europe. Encore faut-il être convaincu de son possible dépassement.

 

À nous de créer les conditions d’un futur où les êtres humains ne seront ni soumis chimiquement à une illusion de bonheur ni brisés moralement au point de n’être plus capables de penser librement.

 

À l’heure où Trump débloque des milliards pour donner corps aux ambitions américaines en matière d’intelligence artificielle, cette perspective peut sembler contre-intuitive.

 

Pourtant, c’est le bon moment pour cesser de croire que Silicon Valley rime forcément avec progrès. À terme, la capitale mondiale de la tech pourrait même s’effondrer.

 

Le totalitarisme n’est jamais une fatalité.

 

Blaise MAO - 16 avril 2025

 


 



26/04/2025
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