SEL DE LA MER, POT DE TERRE CONTRE POT DE FER (en cours)
Bonjour
A l’origine de cet article, dans le but de promouvoir notre merveilleuse région à cheval entre Occitanie et Provence, j’avais prévu d’apporter à mes lecteurs quelques lumières historiques quant aux différentes voies romaines qui l’ont sillonné et dont nous retrouvons les vestiges un peu partout.
De 312 avant J-C jusqu’à 114 après J-C, 80450 Km de voies furent construites par les Romains! Le premier bâtisseur de ces voies fut le censeur Appius Claudius (d’où vient le nom de la Voie APPIA qui reliait Rome au sud de l’Italie).
Tous les consuls et empereurs reprirent cette idée géniale qui permettait ainsi de traverser rapidement l’empire Romain notamment pour des raisons militaires.
Les trois Voies principales qui quadrillaient la « NARBONNAISE », la première province Romaine en Gaule, se nommaient « DOMITIA » (du nom du Consul Cnaeus Domitius Ahenobarbus né en 165 av. J-C et mort en 104 et qui l'a fait construire en 118 av. J-C, et non pas l'Empereur Domitien, le fils de Vespasien, qui n'a été nommé Empereur qu'en 81 après J-C dont on pourrait croire que provient le nom de DOMITIA), AGRIPPA et AURELIA.
Un petit morceau de la voie Domitienne retrouvée sous la place de la mairie de Narbonne
la voie Domitienne
Après avoir visité plusieurs vestiges de la voie romaine Domitienne à travers le L’Occitanie et la Provence, notamment un grand nombre de monuments, j’ai découvert incidemment qu’à l’origine, la voie « Domitia » n’avait été créée que pour permettre le transport du sel depuis la côte méditerranéenne jusqu’à Rome via Briançon et le col du Montgenèvre en empruntant la route déjà tracée par Hannibal en 218 avant J-C, ses troupes fortes de 60000 hommes, son escadron de 10000 mules et chevaux, et surtout ses fameux 37 éléphants… (cf. mon article sur la République des Escartons)
Le pont St Thibery (Pézenas) et le pont St Ambroix (Lunel)
L’arche de Glanum (St Rémy) et le pont Julien (Bonnieux)
Ce qui me permet aujourd’hui de l’évoquer mais surtout de retracer l’histoire du sel marin…
La Saliculture…
En France, les textes les plus anciens qui parlent du sel marin remontent à l’Antiquité, à savoir au 6ème siècle avant J-C. où les Gaulois des côtes atlantiques et méditerranéennes en avaient découvert les vertus et la saveur.
Du 1er siècle avant J-C jusqu'au IIIème siècle après J-C l'empire romain qui s'étend sur toute l’Europe et en particulier en Méditerranée en a répandu l’usage.
En effet, les Romains, grands producteurs et consommateurs de sel, expédient à Rome et aux confins de l'Empire celui que les Gaulois produisent pour leurs salaisons qui permettent de conserver la viande et d’assurer un approvisionnement de leurs armées sans être obligés à le prélever chez l’habitant ce qui évite l’hostilité des habitants des territoires conquis.
En Languedoc, des écrits attestent même que certaines voies ne furent créées à l’origine que pour ça. On trouve dans les textes l’appellation de « viae salariae », soit « routes du sel ».
Ces routes sont placées sous le contrôle de fonctionnaires Romains, les « salarii ».
Ainsi en Languedoc, dès 118 avant J-C, les Romains fondent une colonie du nom de Colonia Narbo Marcius (l'actuelle ville de Narbonne) dont l'origine du nom est celle du consul romain Quintus Marcius Rex.
Elle est située sur la via Domitia, la première route romaine en Gaule, qui permet de relier le nord de l’Italie à l'Espagne.
La voie Domitienne menait en effet de Gérone (ville espagnole de Catalogne) jusqu’au col du Montgenèvre (au-dessus de Briançon) en contournant la colonie Phocéenne de Massalia qui fut une colonie grecque du 6ème siècle avant J-C jusqu’à ce qu’elle devienne Romaine sous le nom de Massilia, soit Marseille, au 1e siècle après J-C.
C'est par cette voie Domitienne qu'en son temps (en 218 av JC) passèrent le col du Montgenèvre les troupes d'Hannibal avec ses 60000 hommes et son escadron de 10000 mules et chevaux et surtout ses fameux 37 éléphants qui assurèrent son triomphe lorsqu'il rentra à Rome...
La voie Domitienne peut être suivie à la trace à travers tout le L’Occitanie et la Provence ne serait-ce que par les nombreux vestiges qu’elle a pu laisser, dont les plus connus sont les ponts St Thibery (à Pézenas), Saint Ambroix (à Lunel), Julien (à Bonnieux en Lubéron)… et un certain nombre de bornes et revêtements de pierres jusqu’à Briançon.
La colonie Romaine Narbo Marcius est, d'après son surnom, « la première fille de Rome hors d'Italie » et restera jusqu'à la fin de l’Antiquité romaine, l'une des villes les plus importantes de la Gaule. Son port (situé à La Nautique, à 10 km de Gruissan) est aussi le premier port Romain en dehors de Rome.
Les récoltes de sel de Narbo Marcius s'effectuent le long de ses côtes et notamment à Gruissan, preuve que les liens entre Gruissan et son sel sont millénaires. Narbonne commerce avec toutes les plus grandes villes Méditerranéennes de l’Empire notamment Ostie (Port de Rome), Tarragone (Espagne) et Carthage (Tunisie) par le biais de routes maritimes.
Les Romains sont les premiers à développer les salaisons de viande ou de poisson, procédé consistant à enduire la nourriture d'une épaisse couche de sel afin d'empêcher le développement des bactéries.
Ce procédé s'avère d'un très grand intérêt dans l'expansion de l'Empire puisque les armées peuvent ainsi emporter une grande partie de leur approvisionnement, évitant le pillage des nouveaux territoires conquis.
Cette stratégie limite les résistances et assure une implantation durable de la civilisation romaine. L'aristocratie gauloise est même enrôlée dans l'armée romaine ou intégrée progressivement dans l’élite municipale voire même sénatoriale.
L'habileté des romains réside dans le fait de ne pas avoir détruit l'aristocratie gauloise, mais plutôt de l'avoir incitée à adhérer au système romain par intérêt et par fascination vis à vis de la grandeur de Rome : l'organisation et le mode de vie romain s'imposeront donc naturellement aux notables, puis au peuple.
En 212, la citoyenneté romaine est d’ailleurs accordée à tous les hommes libres de l’Empire, à l’exclusion donc des esclaves.
La solde des légionnaires romains, le « salarium », est, pour moitié, monnayée en sel.
C'est là, l'origine du mot français « salaire ».
Sur leurs tables, les Romains préfèrent cependant au sel cristallisé, le « garum » aussi appelé « liquamen », « jus » ou « sauce » en latin. Il s'agit d'une sauce élaborée à partir de poissons ayant fermenté longtemps dans une forte quantité de sel, un peu ce que l’on connaît sous le vocable « Nuoc-mam » vietnamien.
Quelle étrange association d’idées que de lier le sel aux voies romaines, me direz-vous ?
C’est que, entre temps, lors de l’été 2012, alors que nous avions passé quelques jours de vacances à GRUISSAN, une sage décision de la Cour de cassation de Narbonne m’a interpellé qui a permis de débouter enfin le géant du sel, la toute puissante « Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l’Est » qui possédait le quasi-monopole de l’exploitation du sel méditerranéen jusqu’à ce qu’ils décident, en 2011... de ne plus exploiter le site des salines de l’Île Saint MARTIN à GRUISSAN dans l’Aude.
En effet, cette Compagnie des Salins du Midi entendait gagner un procès par simple protectionnisme pour empêcher une poignée d’hommes courageux et enthousiastes de reprendre cette exploitation ancestrale pour ne pas voir disparaître un savoir-faire et un site exploité depuis l’Antiquité et, sur un plan industriel depuis exactement cent an, en 1911, activité qui est toujours rentable mais ne l’est plus selon les critères capitalistiques de la Compagnie des Salins du Midi !
Il n’y a donc plus d’épée de Damoclès suspendue à l’activité des repreneurs des Salines de l'Île Saint Martin à GRUISSAN; ils se sont en effet constitués en une jeune société, le SOMEVAL, qui avait toute la sympathie et le soutien des autorités de la ville et de sa région.
Le sel est probablement le plus ancien produit chimique dont l’homme préhistorique se soit servi et a réussi à produire. Mais il y a plusieurs méthodes qui ont cohabité pendant longtemps.
La production de sel ignigène :
L’homo Sapiens a laissé des traces à PLOUHINEC au Finistère de l’utilisation du feu dès le paléolithique inférieur (-350.000 ans!). On a retrouvé sur le site des fragments de pots de terre grossiers qui ont probablement servi à extraire le sel de l’eau de mer en la faisant chauffer et s’évaporer.
On appelle « ignigène » cette forme d’exploitation.
Cette technique « ignigène » a été pratiquement abandonnée de nos jours car elle consomme beaucoup trop d’énergie (autrefois bois de chauffe et depuis chaudières spéciales) sauf à SALIES DE BEARN où l’on a exploité une source d’eau salée dès 1587… qui continue a produire avec cette technique une grosse quantité de sel qui est utilisé pour l’établissement thermal de la ville mais aussi et surtout pour la salaison du jambon de Bayonne qui ne peut être « AOP » (Appellation d’Origine Protégée) que si et seulement s’il a été salé au sel de Salies de Béarn et les Basques y tiennent !
L’exploitation du sel de mer.
Parmi les plus anciennes exploitations de ce sel de mer nous trouvons précisément celle de l’Île Saint Martin à GRUISSAN. Depuis l’Antiquité son extraction n’a pas beaucoup changé !
Le village de Gruissan et la Saline de Saint-Martin au premier plan...
Sur la gauche on aperçoit le Domaine viticole de Pierre RICHARD !
Les 4 tables de la saline de Saint-Martin situées juste devant les bâtiments...
Profitant d’une longue lagune littorale qui ressemble à celle de la Camargue dans son prolongement, au niveau de Narbonne, les anciens faisaient entrer de l’eau de mer sur des champs inondables par tout un système de petits canaux et de « martelières », des sortes de vannes qu’il suffit de relever ou abaisser pour permettre d’isoler les champs afin de laisser s’évaporer l’eau au soleil.
Les martelières qui permettent de remplir et désemplir les tables de concentration.
Et ce, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que les cristaux de sel qu’il suffisait ensuite de ratisser. La technique s’est peu à peu affinée pour en arriver aux tables de marais salants que nous connaissons aujourd’hui. À GRUISSAN, vues d’avion, les voici :
La belle couleur rouge vermillon est due à la concentration de l’eau en... « ARTEMIA », une minuscule crevette rose.
L’eau de mer est pompée à 200 m du rivage et envoyée dans une série de bassins très peu profonds. Le « Saunier », le professionnel qui s'occupe de l'exploitation du sel va faire passer l’eau de « table en table » au fur et à mesure de sa concentration en sel.
En méditerranée, cette concentration va ainsi passer de 35 g de sel par litre à plus de 300 g par litre.
C’est d’ailleurs cette concentration de plus en plus élevée qui donne sa couleur vermillon de plus en plus foncée à l’eau des salines... ou plutôt c'est une petite crevette du nom « d'ARTEMIA » qui donne sa couleur à l'eau des marais salants car elle adore le sel et plus l'eau est salée plus elle devient rouge.
En effet, les saumures saturées qui subsistent après évaporation prennent cette coloration rose par la présence de microorganismes halophiles, en fait, cette petite crevette rouge du nom de « artemia » qui adore vivre dans l'eau très salée et qui contient beaucoup de carotène et c’est d’ailleurs pour cette raison que le plumage des flamands roses est… rose car ils font une grosse consommation d'artémies qui sont un délice pour les flamands roses !
Ainsi on fait passer l’eau de « table en table » en contrôlant soigneusement la concentration de sel à chaque stade. Elle va ainsi parcourir près de 40 Km de petits canaux.
Lorsque le sel commence à cristalliser en passant par une phase intermédiaire entre 200 à 300 g par litre, le saunier va pouvoir commencer à récolter avec un outil en forme d’épuisette ce que l’on appelle la « fleur de sel » des cristaux de sel qui se forment naturellement à la surface de l’eau.
Pour mieux se rendre compte de l’aspect du sel, voici à quoi il ressemble de prés :
La « fleur de sel », puis le sel cristallisé
Alors que le sel gemme, ici un cristal de halite (sel gemme impur), et des
cristaux originaires des gisements fossiles souterrains de l'Est sont beaucoup plus gros.
On ramasse d'abord la fleur de sel sur le bord des tables...
Et quand toute l’eau se sera évaporée, il ne va rester que le sel…
Qu'il suffit de ramasser avec des raclettes (aujourd'hui avec des tracteurs équipés comme des chasse-neige...
À la fin de l’été, à l’Équinoxe (c’est cette période fugace où la durée du jour est pratiquement égale à celle de la nuit entre le lever et le coucher du soleil) le saunier assèche complètement la saline pour récolter les cristaux de sel avec une sorte de raclette.
Autrefois jusque dans les années 1900, c’était fait à la main – on appelait cela le « battage du sel » mais des moyens mécaniques ont peu à peu remplacé la main d’œuvre après que l’on ait cimenté le fond des dernières tables, pour ne pas risquer de récolter des impuretés qui obligeait une manipulation supplémentaire qui consistant à « laver » le sel en le diluant à nouveau pour éliminer à la main les impuretés.
Le Battage autrefois...
Le battage aujourd'hui se fait avec des engins mécaniques...
Et bien voilà.
Je ne dirais pas que vous savez tout du sel marin, mais vous en savez maintenant un peu plus et, si vous passez un jour par Gruissan, je vous engage vivement à vous rendre à l'Île Saint Martin, à la sortie du village pour visiter le « Musée du Sel » de la SOMEVAL que le leader de production du sel en France, « Les Salins du Midi », voulait museler et dans lequel une poignée de passionnés arrivent à transmettre leur passion !
Depuis notre visite en 2012... Nous en avons appris beaucoup plus en ce qui concerne le sel marin, notamment en découvrant la cité de SALIN DE GIRAUD en Camargue et l'histoire de ce géant génial de la production des lessives qu'a été Ernest SOLVAY en cliquant ici !