LES « SAINTIERS » DE MOSCOU... UNE HISTOIRE DE CLOCHE !
Un petit air de là-bas pour vous mettre dans l'ambiance...
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NOTA BENE : Il me faut préciser que cet article a été rédigé et publié en février 2012... Il y a eu hélas depuis l'invasion Russe inique de l'Ukraine. Ne m'en voulez pas d'ainsi faire l'apologie d'un peuple qui n'a rien à voir avec la folie totalitaire de son dirigeant actuel !
Les « Saintiers » était le nom que l'on donnait autrefois aux fondeurs de cloches (de l'ancien Français sain ou sin = cloche, que l'on retrouve dans toca-sin : tocsin - et par contraction, on jouait aussi sur le substantif « Saint » car le son des cloches étaient supposé attirer les Anges !).
A l'origine, l'idée de cet article m'a été suggéré par un lecteur assidu, qui m'a remémoré mon étonnement, il y a une vingtaine d'années, lorsque j'ai découvert pour la première fois les jardins du Kremlin à Moscou, où j'ai travaillé pendant plusieurs années, à la fin de la Perestroïka.
La cité du Kremlin et ses jardins...
Dans ces jardins gît une énorme cloche (flèche rouge) au pied de l’église d’Yvan le Grand, juste en face de la Cathédrale de l’Assomption, qui commandait aux 350 églises de Moscou.
C'est la plus grosse cloche jamais fondue dans le monde qui se nomme « Царь-колокол » (en bon Français : « Czar = Tsar » et « Kolokol = Cloche » soit le « Tsar des Cloches »).
« Czar Kolokol » naquit le 24 août 1735, jour de la Saint Barthelemy, après 2 ans et 5 mois de travail dont le romancier Français Jean Anglade a fait un récit historique fort intéressant et bien documenté dans son roman « Le Saintier » que je vous encourage à lire un jour, mais voici les faits, pour attiser votre curiosité... C'est peu banal !
Cette « Cloche Star », ou « Tsar des Cloches » en voici l'image... Remarquez bien la taille du personnage à coté du morceau brisé qui ne pèse que... 11,5 tonnes, et vous noterez aussi la taille du battant ! Avec la complicité du Colonel commandant la place, j'ai eu, à l'époque, l'autorisation de me glisser sous la cloche dans laquelle j'ai pu lire l'inscription dont je vous parle plus loin... (du temps de l'Union Soviétique... on ne pouvait pas faire n'importe quoi surtout pour un étranger! Les choses ont bien changé, heureusement.)
La Tsar des Cloches et son balancier...
« Царь-колокол », Le « Tsar des cloches » est un maître-bourdon en bronze qui pèse... 201924 Kg (+ de 203 tonnes avec son balancier!). Il a une hauteur de 6,24 m et un diamètre de 6,60 m.
Il a été fondu en 1735 par une équipe de 200 hommes, supervisés par les maîtres artisans Russes Ivan Motorin puis son fils Mikhail, à la demande de la tsarine Anna Ire, pour réaliser le rêve de son grand-père Alexis Ier (le père du premier Empereur de Russie, Pierre Ier le Grand) en collaboration avec trois membres de la très ancienne famille de Saintiers Français Mosniers qui exercèrent leur activité pendant plus de trois siècles à Viverols-en-Limagne-Forez (Puy de Dôme) entre Usson et Ambert (Viverols est tiré du latin Vivarolium = « Eau Vive ou Vivarium » où traditionnellement des moines Bénédictains de Cluny avaient installé un viviers pour y élever des poissons...).
En quelques lignes, voici le récit de cette « coïncidence » !
A la fin de l'été 1697, La famille des Saintiers Mosniers reçut la visite à Viverols de deux étranges cavaliers impressionnants par leur stature (tous deux mesuraient plus de 2 mètres!) vétus de peaux de chèvres. Ils se présentèrent comme deux habitants de « Moscovie », autrement dit de Russie, dont l'un dit qu'il se nommait Piotr Mikhaïlov et était accompagné de son serviteur Ivan Ivanovitch Starov, qui parlait très bien le Français.
Ils expliquèrent qu'ils demandaient la faveur d'être employés quelques jours comme apprentis car ils s'interessaient aux Arts et Métiers afin de rapporter dans leur pays quelque chose de l'expérience des meilleurs artisans Français, avouant que les Saintiers Mosniers leur avait été indiqués comme étant les meilleurs fondeurs de cloches Français...
A cette époque, commençaient à circuler des Compagnons du Devoir à travers tout le pays et les Mosniers ne furent pas autrement étonnés de cette requète à laquelle, passée la première surprise de la visite qui leur faisait craindre « un espionnage » de concurrents saintiers Alsaciens, ils donnèrent leur accord surtout lorsque les Russes leurs précisèrent qu'ils ne leur demandaient aucun gage, et étaient au contraire prêts à payer pour leur gite et leur nourriture.
Après quelques jours passés à faire les plus durs travaux de la sainterie, Piotr demanda qu'on veuille bien lui apprendre à fondre le fût d'un « fauconneau » de 100 livres long d'une coudée, c'est à dire un petit canon, et s'est proposé de le payer.
Un fauconneau, c'est ça !
Les Saintiers qui avaient fini par sympathiser avec ces drôles de visiteurs acceptèrent mais en se gardant bien de les associer aux calculs des proportions de l'alliage cuivre, étain et zinc qui composent le bronze, sans prendre soin par contre de leur cacher l'emploi du soufre, du crottin de cheval, de l'ail, de la plombagine, de l'étoupe et le maniement des outils bien spécifiques que sont le brunissoir, la grignotte, le tarabiscot, l'ébarboir et la patarasse, persuadés qu'ainsi, ils ne risquaient pas de livrer leurs secrets de fabrication...
L'affaire fut rondement menée et, en une petite semaine, ils fondirent leur canon avec l'aide de Piotr et Ivan. Emerveillé, Piotr tint parole en les remerciant avec une petite bourse de cuir contenant une grosse poignée de pièces d'or.
Puis ils s'en allèrent acheter un troisième cheval pour pouvoir transporter leur petit canon avant de prendre congé, non sans avoir fort étonné le chef de famille des saintiers par leurs connaissances en mathématiques qui lui clouèrent le bec...
Piotr et Ivan n'avaient en effet pris aucune note mais avaient appris par cœur toutes les proportions et les différentes opérations de moulage! Mais bon, moindre mal, ils repartaient en Russie.
Quelle ne fût pas leur surprise, lorsque les deux Russes disparurent à l'horizon de s'apercevoir que les pièces d'or comportaient sur leur coté « face » le profil d'un monarque, avec autour l'inscription en lettres cyrilliques « Петр, император России, великий князь Московский » autrement dit « Pierre, Empereur de Russie, Grand Duc de Moscou » en reconnaissant sans méprise possible sur l'une d'elles... le faciès de Piotr Mikhaïlov !
l'Empereur Pierre 1er Le Grand dont la statue décore la place de l'Amirauté à St Petersbourg
Petit retour en arrière : en effet, en décembre 1696, Pierre 1er le Grand avait annoncé à la Douma des boyards (L'Assemblée Nationale des aristocrates) la création d'une « Grande Ambassade », formée de diplomates et de quelques courtisans, ainsi que son intention d'en faire partie, faisant de lui le premier tsar à quitter l'Empire depuis le grand-duc Iziaslav de Kiev, à la fin du XIe siècle.
Il visait par là d'abord à nouer des alliances avec différents États d'Europe afin de mener une guerre contre l'Empire ottoman, raison pour laquelle il avait écarté la France de Louis XIV de son voyage, celle-ci s'étant tournée vers « la Sublime Porte » (c'est ainsi qu'on nommait la ville de Constantinople, siège du gouvernement de l'Empire Ottoman) pour prendre ses ennemis à revers.
Mais le voyage était aussi pour Pierre Ier le Grand, l'occasion d'approcher la culture occidentale, d'apprendre différents métiers manuels et de recruter des spécialistes étrangers, surtout pour la marine de guerre. Chaque visite était l’occasion de projets divers.
Il partit ainsi, incognito, sous le nom de Piotr Mikhaïlov, en mars 1697, en Prusse, et y étudia essentiellement l'artillerie, tandis que ses diplomates tentaient de nouer une alliance avec Frédéric III de Brandebourg, futur roi de Prusse.
Puis il alla dans l'Empire des Habsbourg, aux Pays-Bas, où il travailla comme simple ouvrier dans les chantiers navals de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales, près de Zaandam, et étudia la construction navale à Amsterdam.
En Angleterre, il approfondit ses connaissances théoriques en matière de construction navale à Deptford (Londres) et visita l'Université d'Oxford ainsi que la maison d'Isaac Newton.
En France, après différentes visites comme celle qu'il fit à Viverols et quelques grands chantiers de construction réalisés par des compagnons du devoir sur lesquels il affinat son grand projet de fondation ex-nihilo de sa toute nouvelle capitale de Saint-Petersbourg, il se rendit à Vienne, où il eut une entrevue décevante avec Léopold 1er du Saint-Empire Romain Germanique.
La « Grande Ambassade » fut écourtée lorsque Pierre 1er apprit la nouvelle de « la révolte des Streltsy » (les gardes impériaux russes), qui avaient l'intention de replacer l'ex-régente Sophie sur le trône. Pierre 1er, qui se dirigeait alors vers Venise, rentra précipitamment à Moscou en septembre 1698, afin d'écraser définitivement la révolte qui, en définitive, fut finalement réprimée en son absence.
Revenons à Viverols... Au début de l'année 1717 arriva de Paris une lettre pliée en quatre portant la mention « PP » (Port Payé) scellée d'un fil rouge (Cf. mon article L'AVENTURE DE LA LETTRE) et d'un cachet de cire représentant un aigle à 2 têtes. Elle était signée par le Prince Boris Alexandrovitch Kourakine, ambassadeur de Russie à Paris, qui « invitait les Saintiers Mosniers à une réception à Versailles » où l'Empereur Pierre 1er Le Grand entendait présenter ses salutations au nouveau roi de France, Louis XV, qui venait d'être couronné et souhaitait y associer tous les artisans Français qui l'avaient reçu au cours de sa « Grande Ambassade » de 1697! Les Mosniers s'y rendirent et furent éblouis de l'accueil chaleureux de l'empereur et du faste de la réception à Versailles.
15 ans plus tard, en 1731, alors que la sainterie Mosniers rencontrait quelques difficultés de trésorerie, trois des saintiers Mosniers dont le patriarche Pardoux se proposèrent de quitter Viverols pour aller chercher des cloches à fondre afin de renflouer les caisses, jusqu'en Russie où le Prince Kourakine, l'ambassadeur de Russie qui les avait reçu à Versailles leur avait laissé entendre qu'il y avait à Moscou de nombreuses églises sans cloche et qu'avec la bienveillante recommandation du Tsar, ils pourraient peut-être en équiper quelques unes !
Ils mirent trois mois d'un voyage épique avec une carriole et un cheval, pour y arriver en plein hiver...
Dans l'enceinte du Kremlin: la Cathédrale de la Dormition et celle de l'Assomption
(« Czar Kolokol » est au pied du clocher. à droite)
Le Prince KOURAKINE, l'ambassadeur qui les avait si bien reçu en 1717 à Versailles, âgé, s'était, depuis, retiré dans ses terres non loin de Moscou, mais se souvenait très bien d'eux et les accueillit en leur apprenant la disparition du Tsar Pierre 1er en 1725 à Saint-Petersbourg.
Mais il les aida à trouver quelques chantiers d'églises qui nécessitaient leur intervention jusqu'au jour où, grâce à la bienveillance du Prince KOURAKINE, il furent appelés à Moscou par les artisans saintiers Russes Ivan et Mikaïl MOTORIN qui avaient été chargés par le nouveau Tsar de fondre la plus grosse cloche de tous les temps. Et c'est ainsi que les trois saintiers Français participèrent à ce gigantesque chantier qui les occupa pendant plus de deux ans !
Les ornementations de « Czar Kolokol » comme les portraits et textes qui ont été gravés sur sa robe ont été dessinés par des artistes Russes de renom dont V. KOBELEV, P. GALKIN, P. KOKHTEV, P. SEREBRYAKOV et P. LUKOVNIKOV sous la direction d'un Italien, Bartolomeo RASTRELLI, un artiste Florentin ornementiste de 60 ans qui avait représenté, sur la robe de la Cloche, le Tsar Alexis 1er Mikhaelovitch, père de Pierre 1er le Grand, l’Univers dans la main gauche et le sceptre dans la droite, ainsi qu’Anna Ivanovna, la Tsarine couronnée de fleurs.
A leur grande déception, les saintiers Mosniers ne furent autorisés, eux, qu'à inscrire en caractères cyrilliques et à l'intérieur de la cloche la mention « Пардаукс Моснирс, Колокол Изготовитель к виверолс » à savoir « Pardoux Mosniers, Fondeur de Cloche à Viverols » où on peut encore la lire.
La cloche, hélas, a été brisée en mai 1737 lors de l'incendie de l'échafaudage qui avait été mis en place pour bâtir le clocher capable de la supporter (203 tonnes!) avant même qu'elle soit démoulée : un éclat de 11,5 tonnes s'en est détaché. Elle était alors encore dans sa fosse de coulage, et c'est le choc thermique entre le feu et l'eau d'extinction de l'incendie qui lui a été fatal.
Ce n'est qu'en 1836 que la cloche « Czar Kolokol » a été enfin déterrée de sa fosse par l'architecte Français Auguste RICARD de MONTFERRAND (à savoir de Clermont-Ferrand dont il était originaire) pour être déposée à son emplacement actuel, au pieds de la tour d'Ivan Le Grand.
Ce Français, Auguste RICARD, peu après la fin de ses études d'architecture à Paris, était parti chercher fortune à Saint-Petersbourg où il construisit en effet de nombreux bâtiments dont la Cathédrale Saint Isaac, puis d'autres grands chantiers de prestige dont le manège de Moscou. Il demeura en Russie jusqu'à sa mort.
Cathédrale Saint Isaac à Saint-Petersbourg et le manège de Moscou
construits tous deux par l'architecte Français Auguste RICARD.
La Cloche « Czar Kolokol » succédait à deux autres cloches qui furent appelées comme elle « tsar de toutes les cloches » : la première au début du XVIIe siècle, la deuxième en 1654 pesait environ 130 tonnes, et fut détruite en 1701.
Il semble que ces cloches furent détruites dans l'unique but de les refondre en plus grand, jusqu'à la troisième génération.
L'analyse de l'alliage effectuée à partir d'un morceau brisé par le laboratoire impérial du corps des mines, donna le résultat suivant :
- cuivre 84,51 %
- étain 13,21 %
- soufre 1,25 %
- divers (zinc, arsenic, ...) 1,03 %.
Nota Bene : Le qualificatif « Czar », dans le nom de cette cloche, provient d'une habitude Russe de nommer ainsi toutes sortes de très grandes réalisations, comme « Czar Bomba », la plus puissante bombe à hydrogène à avoir explosé, ou comme « Czar Pouchka », le plus grand obusier jamais construit, lui-même exposé dans les jardins du Kremlin :
Le Tsar Pouchka
Le « Царь-пушка » ou « Czar Pouchka », est un canon gigantesque, comme on peut le lire sur la plaque en Russe « fondu en 1586 par le Maître Moscovite Andreï TCHOKHOV », à la demande du tsar Fédor Ier, fils d'Ivan le Terrible.
Il pèse 39312 Kg, (40 Tonnes!) a une longueur de 5,34 m, un calibre de 890 mm, un diamètre externe de 1200 mm et a été conçu pour tirer de la mitraille pour la défense du Kremlin en temps de guerre.
Il n'a toutefois jamais été utilisé et pourrait bien avoir été créé uniquement comme prouesse d'ingénierie militaire.
Le canon est décoré de bas-reliefs, l'un d'entre eux représentant notamment le Tsar Fédor Ier à cheval. L'affût original a été construit au XVIe siècle, mais a été détruit par un incendie en 1812.
Le nouvel affût et les boulets en fonte ont été fondus en 1835 (chacun d'eux pèse 1 tonne!). Le canon est exposé à côté de la « Tsar Kolokol ». Il a été restauré en 1980. Le Guinness des records le décrit comme le plus grand obusier jamais construit.
Les boulets exposés n'ont jamais été conçus pour être utilisés... ils sont d'un diamètre supérieur à ce que le canon pourrait utiliser. La légende raconte qu'ils ont été fondus à Saint-Pétersbourg, trois centimètres trop gros, comme une plaisanterie pour marquer la rivalité avec Moscou.
Cette introduction nous a fait nous écarter quelque peu du sujet que m'avait suggéré mon lecteur au départ... Celui de parler de cet évènement exceptionnel qu'est le 850ème anniversaire de la Cathédrale Notre Dame de Paris...
NOTRE DAME DE PARIS a donc 850 ans !
A l'occasion de cet anniversaire, les nouvelles cloches de Notre Dame de Paris dont ont été équipés les deux clochers, ont été dévoilées au public le samedi 2 février 2013 afin d’être bénites (cf. la vidéo spécifique en fin d'article) et ont sonné pour la première fois lors de la solennité des Rameaux qui ouvrait la Semaine Sainte, le samedi 23 mars 2013.
Pour écouter la reconstitution de la sonnerie des tours de la cathédrale à la fin du XVIIIe siècle telle qu’elle a été rétablie en 2013, vous pouvez jouer le sonneur de cloches en cliquant au centre de l'enregistrement suivant (ne dure que 1' 12"!)
« Via Viatores Quaerit »... (= « Je suis la voie qui cherche les voyageurs »).