PETITE HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN

 

 

Un petit air de circonstance pour vous mettre dans l'ambiance :

Voici le « Chant de Monthéus »

qui commémore la tragédie des Vignerons de Narbonne en 1907...

 Vous pouvez le démarrer ou l'arrêter en cliquant ci-dessus sur les symboles suivants

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UN PETIT COURS D'HISTOIRE SUR LA VIGNE ET LE VIN

 

« J'aime le vin d'ici mais pas l'eau de là » (Pierre Dac)

« Il n'y a pas de joie sans vin » (Talmud, Pesakhim 109a)

« Pris en quantité modérée, le vin est la plus saine et hygiénique des boissons » (Pasteur)

« Le pinard, ça devrait être obligatoire ! » (Coluche)

 

  

Le vin, synonyme de fête, de convivialité, d'ivresse même, a investi le vaste champ des valeurs symboliques de la vie de l’homme.

 

Il est aujourd'hui présent dans la plupart des pays du monde. Son existence est le fruit d’une longue histoire mouvementée que je vais essayer de vous faire découvrir…

 

L’histoire de la vigne et du vin est si ancienne qu’elle se confond avec l'histoire de l’homme, mais la vigne, elle, est apparue bien avant l'homme et le vin, il y a plus d’un million d’années.

 

Hormis une découverte récente d'une vinification avérée 7000 ans avant J-C. en Arménie (cf. plus loin), les plus anciennes mentions calami du vin et de la vinification sont rapportées par la Bible… Dans le livre de la Genèse (9,20) il en est question à propos du déluge qui se situe seulement aux environs de 4000 ans avant J-C. :

« Après le déluge Noé ouvre les portes de l’Arche. Ses trois fils Sem, Cham et Japhet vont s’attacher à repeupler le monde. Noé sur une terre encore molle se met au travail. Noé le cultivateur commença à planter la vigne. »

 

De cet arbre de vie il tire le vin et on pourrait donc dire que Noé fût le premier Vigneron. Est-il besoin de le rappeler : c’est au sommet du Mont Ararat situé à la frontière de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan qu’ont été découverts ce que les archéologues supposent être les restes de l’Arche de Noé !

 

 

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 La Bible fait de Noé le premier viticulteur (gravure datant de 1539)

 

La vigne poussait depuis un million d’années déjà sous forme de « lambrusques », des lianes sauvages qui n’ont qu’une très lointaine ressemblance avec nos cépages contemporains.

 

La Lambrusque, l’ancêtre de la vigne, est encore représentée en Europe par le végétal « Vitis Vinifera », sous-espèce « Sylvestris », une liane sauvage, qui poussait en s’agrippant aux arbres à la lisière des forêts jusqu'à plusieurs dizaines de mètres de hauteur ; c’est un végétal « ripisylve » (du latin ripa « rive » et sylve « forêt ») qui fait partie de cet ensemble de végétaux, herbacées, arbrisseaux, arbustes, lianes et arbres qui boise les berges en zone naturelle d'épanchement des crues des cours d’eau et se développent en une véritable forêt alluviale.

 

C’est le dernier lien entre le milieu terrestre et le milieu aquatique et il en existe encore quelques-unes le long des grands fleuves comme le Rhin, la Loire ou le Rhône (cf. mon article sur l’Islon sauvage des Papes entretenu et sauvegardé par la Compagnie Nationale du Rhône en amont d’Avignon en cliquant sur ce lien).

 

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Lambrusques ou vignes sauvages en milieu ripisylve.

 

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Pampres et petits fruits portés par une lambrusque femelle

 

L’histoire de la vigne et par conséquent du vin va ensuite se confondre essentiellement avec celle du bassin méditerranéen où le vin existe effectivement de temps immémoriaux après avoir vu le jour en Orient; la vigne et le vin ont représenté un élément important des sociétés méditerranéennes, intimement associés à leurs économies et à leurs cultures.

 

En ce qui concerne le vin, on admet généralement que la vinification existe depuis plusieurs millénaires, en fait... depuis la Préhistoire.

 

En effet, comme nous l'avons annoncé plus haut, l'une des premières vinifications, vraiment attestée au carbone 14, a été découverte au Kurdistan, au nord des monts du Zagros (actuellement territoire de l’Iran). C'est André Tchernia, archéologue spécialiste des amphores romaines et l'un des meilleurs spécialistes des vins de l'Antiquité, qui rapporte : « Les restes d'un résidu jaunâtre déposés sur la paroi d'une jarre néolithique, vieille de 7000 ans avant J-C, trouvée sur le site néolithique de Hajji Firuz Tepe, (en Azerbadjian - ou plutôt... dans le Haut-Karabakh, territoire autoproclamé de Transcaucasie revendiqué et peuplé par l'Arménie - Note du rédacteur), se seraient révélés être un mélange d'acide tartrique et de résine ».

 

 

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Dans le cercle bleu se situe l'origine de la vinification... 
 

Il y aurait là, du même coup, le vin et le procédé de vinification les plus anciennement attestés (Cf. le centre de la carte ci-dessus, marquée par un cercle bleu au-dessus de la ville de Tabriz, à cheval sur Arménie, Azerbaïdjan, Iran) d'autant qu'ont été trouvé tout autour des quantités de pépins de raisin datant de la même époque.

 

L'implantation de la vigne 6000 av. J-C est également attestée dans le Caucase, et tout autour du Mont Ararat en Arménie, puis en Mésopotamie 3000 ans plus tard. 

 

La vigne est également cultivée en Égypte et en Phénicie 2000 av. notre ère, et elle apparait en Grèce 1000 av. notre ère, puis elle est cultivée en Italie, en Sicile et en Afrique du Nord de -1000 à -500 av. J-C.

 

La fabrication du vin est attestée six siècles environ avant J-C chez les Egyptiens, puisque nous en avons pour preuve des frises et mosaïques représentant des scènes de vendanges vieilles de plus de 2600 ans.

 

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Elle est enfin apparue en Espagne, au Portugal et dans le Sud de la France 500 ans avant notre ère, et la présence massive d’Amphores Romaines tout autour de la Méditerranée ne peut qu’attester sa popularité.

 

 

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Amphores et Soubassement d'un pressoir Romain à Volubilis (près de Meknès - Maroc)

attestant la fabrication du vin en Afrique du Nord trois siècles avant J-C.

 

 

125 ans avant J-C : les Phocéens débarquent à Marseille et, dans leur sillage, les Romains créent une grande province viticole traversée par la voie Domitienne : la Narbonnaise (Cf. mon article sur la villa gallo-romaine de Loupian en Languedoc).

 

La viticulture va petit à petit remonter le Rhône jusqu’à Lyon, puis arrive en Bourgogne, et continue son expansion jusqu’au Rhin et de là, vers Autriche.

 

Dans le même temps, longeant la Garonne, elle parvient à Bordeaux.

 

Dans la première moitié du 1er siècle, un agronome Romain du nom de Lucius Columelle va écrire tout un traité sur la culture de la vigne et la vinification que nos œnologues formés à Suze-la-Rousse étudient encore aujourd’hui !

 

En 80, « Burdigala » (Bordeaux) devient la capitale de la province d’Aquitaine.

 

En l’an 92, l’empereur Domitien ordonnât l’arrachage des vignes en Gaule dans certaines régions réputées médiocres (Rome subit le contrecoup de cette expansion de la vigne, la surproduction des crus provoque des chutes de prix vertigineuses.)

 

Dès le IIIème siècle, la vigne occupait déjà les régions qu’elle couvre aujourd’hui.

 

En 270 : après 200 ans d'interdiction de planter de la Vigne par Domitien, le sage et vaillant Empereur Romain Probus accordera à tous les citoyens, et en particulier aux Gaulois le droit de planter la vigne, de faire et de vendre du vin, ce qui conduit dès lors à son expansion dans la vallée de la Loire puis en Champagne où elle n’apparaît qu’au IVème siècle.


En 1098, l’abbé Robert de Molesmes fonda à Cîteaux une communauté religieuse, « les Cisterciens » qui deviendront progressivement les maîtres de la viticulture monastique.

 

Une date historique est à retenir : le 18 mai 1152, Aliénor d’Aquitaine après l'échec de son mariage avec Louis VII, Roi de France (le grand Père de Saint-Louis ou Louis IX), épouse le Duc de Normandie aussi Duc d'Anjou, qui va devenir le Roi d'Angleterre en 1154 sous le nom d'Henri II Plantagenêt, et ce mariage va bouleverser la province d’Aquitaine et favoriser les exportations de vin de Bordeaux à destination de l’Angleterre tout autant que l'installation sur place de gentlemen Anglais qui vont prendre goût à la culture de la vigne dans toute l'Aquitaine, province française devenue anglaise sous le nom de « Guyenne » !

 

Et c'est bien pour cette raison historique qu'à partir de la fin du douzième siècle les anglais, du fait des exportations, vont nous contraindre à utiliser leurs propres unités de mesures !

 

En effet, l'unité de base qui était le « gallon impérial » mesurait 4,54609 Litres en attendant le bon sens de Napoléon Bonaparte et son système métrique !

 

C'est ainsi que l'on va stocker le vin en barriques de bois de 50 gallons soit à peu près 225 litres (la petite différence de 1% constatée sera ce que l'on va appeler « la part des anges », c'est à dire ce qui va s'évaporer naturellement dans une barrique en la mouillant pour la conserver étanche...

 

Depuis lors, toutes les barriques utilisées en France sont de 225 litres ! Mais cela explique aussi pourquoi nous embouteillons le vin en bouteilles de 75 cl et non en bouteilles d'un litre...

 

Mesurer en litres aurait été trop fastidieux partant d'une barrique de 225 Litres, alors pour éviter un casse-tête dans la conversion, on partit du principe qu'une barrique c'était donc 50 gallons, et non pas 225 bouteilles mais 300 bouteilles (si on avait utilisé le litre c'eut été plus difficile à compter) ! 

 

Et c'est ainsi que la bouteille standard est devenue de 0,75 Litre avec ses déclinaisons...

Un Magnum fait en effet 2 bouteilles soit 1,5 Litres,

Le Jéroboam 4 bouteilles ou 3 Litres,

Un Réhoboam 6 bouteilles ou 4,5 Litres,

Un Mathusalem 8 bouteilles ou 6 Litres,

Un Salmanazar 12 bouteilles ou 9 Litres,

Un Balthazar 16 bouteilles ou 12 Litres,

Un Nabuchodonosor 20 bouteilles ou 15 Litres, 

Un Melchior 24 bouteilles ou 18 Litres,

Un Melchisédech 40 bouteilles ou 30 Litres...   

 

Et tout naturellement, les Anglais, familiarisés avec le système duodécimal, vont faire des caisses de 1 gallon de vin soit 6 bouteilles ou de 2 gallons soit 12 bouteilles. Et on continue à vendre notre vin dans ces conditionnements depuis... Sept siècles !

 

Par ailleurs, à une époque où les moyens de transport n’avaient guère évolué depuis l’antiquité, 330000 barriques de 50 gallons, soit, pas moins de 750000 hectolitres de vin de Bordeaux étaient exportés chaque année vers l’Angleterre !

 

Mais c'est au Moyen Age que se dessinent à la fois la consommation du vin et une nouvelle géographie viticole.

 

Devenu le premier personnage de la cité, l’évêque entretient autour de celle-ci un vignoble de qualité.

 

Les monastères s’installent dans les sites propres à la viticulture pour satisfaire les besoins liturgiques d’une part, mais plus encore afin d’assurer au mieux leur devoir d’hospitalité.

 

Par la suite, les Papes qui s’installent à Avignon pendant près d’un siècle à compter de 1307, n’y feront pas exception !

 

Au Moyen Âge, toujours, la vigne fait son apparition au Nord de l’Europe, sous l’influence des Romains, et jusqu’en Grande-Bretagne...

 

Par ailleurs, le vin est devenu la boisson de base du monde médiéval : l'eau est trop souvent polluée pour être bue sans arrière-pensée, du moins en ville. C'est pourquoi même les jeunes consomment du vin, coupé d'eau, dès leur petite enfance, sur le conseil des médecins eux-mêmes.

 

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Calendrier-martyrologue de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, XIIIe siècle
(Paris, BnF, département des Manuscrits, Latin 12834, fol. 69v).

 

En 1241, « le privilège des vins de Bordeaux », fait que le port de Bordeaux dictait sa loi aux vins du « Haut-Pays ». Ces derniers devaient attendre que toute la récolte bordelaise soit vendue avant de pouvoir remonter la Garonne et embarquer eux-mêmes sur les navires des acheteurs étrangers.

 

En 1295, le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi (le fils de Saint-Louis et le père de Philippe le Bel) interdit la culture du cépage Gamay en bourgogne au profit du Pinot Noir et c'est tant mieux pour la Bourgogne qui autrement n'aurait pu élaborer ses meilleurs crus !

 

En 1336, se crée le vignoble du Clos de Vougeot en Bourgogne.

 

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et les grands crus de Bourgogne...

 

NB. Savez-vous que le Château de Gevrey-Chambertin et le vignoble qui l’entoure viennent d'être acheté en 2012 par un nouveau millionnaire Chinois... D'autres temps, d'autres mœurs ! 

 

Au XVIème siècle, les Hollandais favorisent en France, dans tout le Sud-ouest, la production massive de vins blancs destinés à être distillés et transformés en « brandewijn » signifiant « vin distillé, vin brûlé » devenu en français « brandevin » et « brandy » ou Cognac tout simplement en anglais.


Ainsi se crée un marché européen de l’eau-de-vie de Cognac et d’Armagnac.

 

Dès la fin du XVIIème siècle, l’utilisation généralisée de la bouteille et du bouchon permet de mieux transporter et conserver le vin (mais à cette époque chaque vignoble produisait et ne consommait que son propre vin, car les moyens de transport étaient alors insuffisants et très lents).

 

En 1668, promu maître cellérier de l’abbaye d’Hautvillers en Champagne, le moine Dom Pérignon découvre par hasard le principe de l’effervescence, la technique des assemblages et du dégorgement… Le Champagne fait son apparition ! 

 

A la fin du XVIIème siècle, Pierre 1er « le Grand », le Tsar de toutes les Russies, va jusqu'à financer des travaux pharaoniques pour rendre le cours du Lot navigable de Cahors jusqu'à son confluent avec la Garonne pour pouvoir acheminer le vin de Cahors jusqu'à sa capitale Saint Pétersbourg avec des bateaux à fond plat car, entre autres mesures, il avait imposé le vin de Cahors (Красное вино города Cahors) à l'église Orthodoxe Russe pour les besoins de la messe...

 

En 1776, l’édit de Turgot permit la libre circulation des vins en France, et mit fin au « privilège des vins de Bordeaux » qui datait du XIIIème siècle : 1241 – 1776, plus de 500 ans… ils sont forts tout de même ces anglais !

 

En 1790, l’Assemblée Constituante vote une Loi pour la protection du consommateur qui réprime la tromperie et les falsifications des denrées et boissons.

 

En 1854, le vignoble français va subir alors plusieurs crises catastrophiques :

 

Tout d’abord l’oïdium : c’est une minuscule algue (et non un champignon comme le croit la plupart des gens) qu’un vigneron du Languedoc, Mr Mares, est arrivé à combattre en mettant au point la méthode du soufrage de la vigne.

 

 

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L’Oïdium est une algue, on la remarque à l’envers des feuilles puis sur les grains de raisin

 

Le meilleur traitement de l’Oïdium est obtenu par la pulvérisation d’un mélange de bicarbonate de soude ou bicarbonate de potassium (leur pH basique empêche les spores de champignon de germer). Il suffit de dissoudre 5 g (1 cuillère à café) de bicarbonate de soude ou de bicarbonate de potassium par litre d’eau et ajouter 1 cuillère à café de savon de Marseille liquide, ou de savon noir liquide, de lait, ou d'huile horticole ou alimentaire afin que la solution s'accroche aux feuilles.

 

Il faut bien sûr pulvériser cette solution sous et sur les feuilles et renouveler après toute grosse pluie. A noter que l'utilisation du bicarbonate est tolérée en Agriculture Biologique.

 

Pratiquement en même temps que l’apparition de l’Oïdium sont apparues des attaques de mildiou.

 

Le mildiou, lui, est un petit champignon dont le mycélium se nourrit de la feuille de la vigne.

 

Plasmopara viticola, c’est son nom savant, est un endoparasite qui se développe uniquement dans les tissus verts de la vigne et en particulier dans le parenchyme des feuilles. Il vit aux dépens des tissus qu'il parasite et qu'il finit par détruire.

 

 

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Le Mildiou est un champignon qui croit à l’ombre, à l’envers des feuilles

  

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Effet du Mildiou sur une grappe de raisin

 

La plupart du temps les vignerons pulvérisent des solutions cupriques (à base de sulfate de cuivre) comme la bouillie bordelaise (mélange de 50 % de sulfate de cuivre, de chaux et d’eau) ou la bouillie bourguignonne (mélange de 20 % de sulfate de cuivre auxquels s'ajoutent 80 % de carbonate de sodium ou de bicarbonate de sodium et d’eau).

 

Il est aussi possible de traiter le mildiou de façon naturelle à l'aide d'une solution à base de bicarbonate de soude et de savon à vaisselle (savon noir).

Le mélange suivant est à vaporiser sur les plantes contaminées :

  1. 10 grammes (environ 1 cuillère à soupe) de bicarbonate de soude.
  2. 4 litres d'eau.
  3. 40 ml (2½ cuillère à soupe) d'huile horticole ou de savon noir.

Le savon sert à fixer le bicarbonate de soude sur la feuille ; la pulvérisation est bien sûr à renouveler après la pluie ou l'arrosage des feuilles. La nocivité de ce traitement est nulle.

 


Dans la première moitié du XIXème siècle, on va importer des vignes en provenance de Etats-Unis car elle possède de très belles feuilles décoratives appréciées pour l’ombrage des tonnelles. Cette vigne américaine est issue directement de la famille des « vitis lambrusca », mais son raisin, malgré plusieurs tentatives est carrément impropre à la fabrication du vin. Il a, aux dires des spécialistes, une odeur de « Fox » à savoir de renard, très désagréable.

 

Il existe toute une gamme de cépages de lambrusques dont le Delaware, le Clinton, l'Herbemont, le Jacquez, le Noah, l'Othello et l’Isabelle.

 

Une seule de ces variétés présente alors un intérêt vinicole, le cépage Isabelle, qui provient de Caroline du Sud et auquel on a donné comme marraine le prénom d’Isabelle Gibbs.

 

Le Noah, lui, a une réputation de cépage dont le vin rend fou et il a été interdit de culture lors de la crise du XIXème.

 

Cela dit, le cépage Isabelle est un raisin très foncé qu’on appelle aussi « raisin-framboise » ou « raisin-cassis » du fait de sa similitude de gout et d’aspect avec ces deux baies. La grume d’Isabelle a de petits pépins et une peau noire très épaisse et âcre lorsqu’elle arrive à maturité qui la protège de la voracité des oiseaux.

 

 

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Un vigneron Réunionnais coopérateur de Cilaos utilise le cépage Isabelle

 

En 1935, ce cépage ainsi que tous les autres de la famille des « vitis lambrusca » a été interdit essentiellement pour des raisons économiques afin d’enrayer la surproduction (de petits vignerons amateurs en avaient planté et de ce fait ne consommaient pas les surproductions des autres cépages français !).

 

L’interdiction n’a été levée qu’en 2003, mais on ne trouve plus de vitis lambrusca qu’à l’Ile de la Réunion, où il avait été planté au XIXème et où le phylloxéra ne s’est jamais développé.

 

Mais pour en avoir bu lors de notre virée sur l’île Bourbon en 2018, je peux vous dire que c’est un vrai tord-boyaux. Et pourtant nous avons vu un agriculteur en train de planter une parcelle de barbues de cépage Isabelle de plus d’un hectare sur un coteau du village perché de « l’Ilet à Cordes » au-dessus de Cilaos !

 

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L’Ilet à cordes du cirque de Cilaos… Un autre bout du monde

 

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En 1857, la naissance de la compagnie du chemin de fer PLM reliant Paris à la Méditerranée, ouvre la voie aux vins du Midi et fit du vin une boisson nationale.

 

Une immense gare de triage permet la distribution à partir de la gare de Paris-Bercy où étaient déjà installés en bordure de Seine, les entrepôts de la plupart des négociants.

 

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A gauche entrée des anciens entrepôts de Bercy, à droite ce qu'ils sont devenus !

 

Et en 1864, intervient la catastrophe du phylloxéra.

 

Ce phénomène mériterait à lui seul un article, mais nous allons vous le résumer !

 

En 1866, Pasteur qui mène ses travaux sur le vin, ses maladies et les nouveaux procédés pour le conserver et le faire vieillir découvre juste a ce moment-là que le vin est bon pour la santé, la circulation du sang et la longévité et le recommande à dose raisonnable !

 

Mais, hélas, il n’arrive pas à trouver le remède au désastre qui est apparu à Pujaut, dans le Gard, ce village du canton de Villeneuve-lès-Avignon qui a la triste réputation d'être le premier village atteint par la maladie, bien qu’il ait eu une heure de gloire plus reluisante (Cf. mon article sur Pujaut, Port de pêche).

 

Peu de gens savent que ce fléau qui s'est abattu sur la vigne est dû à un minuscule insecte qui a donné son nom aux dommages : le phylloxéra (Daktulosphaira vitifoliae).

 

Ce puceron en provenance des Etats-Unis (en fait, elle est arrivée vivante dans de jeunes plans de vignes importés des Etats-Unis et elle va se développer) est un insecte piqueur et suceur qui ressemble au puceron. Il est de très petite taille, entre 0,3 mm et 3 mm, et sa couleur varie du jaune au brun.

 

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A gauche, un mâle et à droite une femelle; la feuille présente des galles provoquées par la ponte du phylloxéra...

 

 

Cet insecte se remarque d'abord sous forme de « galles » provoquées par la ponte de ses œufs à l'envers des feuilles de vigne, puis, après éclosion, prenant une forme souterraine, il s'en prend aux racines et provoque la mort des souches en trois années seulement.

 

Introduit accidentellement en France (dans des pieds de vignes américains), il s'est développé sur les vignes françaises, aux racines particulièrement sensibles, et a provoqué une destruction massive. En effet, les viticulteurs ne trouvant aucun remède adéquat, au cours des 15 années qui ont suivi sa découverte, il a fallu arracher plus de deux millions et demi d'hectares de vignes, soit pratiquement, 70% de la surface consacrée à la viticulture !

 

On distingue deux types de phylloxéra selon le cas de reproduction :

 

  • Le Phylloxéra avec reproduction sexuée : ces insectes ne se nourrissent pas et montrent un fort dimorphisme sexuel puisque les mâles sans ailes (à gauche ci-dessus) sont tout petits (0,5 mm maximum) tandis que les femelles (à droite) peuvent mesurer jusqu’à 3 mm et sont dotées d’ailes transparentes.

 

  • Le Phylloxéra avec reproduction asexuée (ou assimilée, du fait de la parthénogénèse, un mode de reproduction monoparental comme l’autofécondation qui nécessite l’intervention de deux gamètes, mâles et femelles, apportés par le même individu hermaphrodite) : les insectes n’ont pas d’ailes, ne dépassent pas 1,4 mm et vivent soit sur les feuilles, on les appelle encore des « phylloxéras gallicoles », parce qu’ils sucent les feuilles ce qui a pour conséquence de développer des « galles » et de faire jaunir le feuillage, mais sans faire mourir le pied, soit, plus grave, sur les racines.

 

Ce sont les phylloxéras qui s’alimentent en suçant les racines, on les appelle les « phylloxéras radicicoles », donc les formes parthénogénétiques, qui sont à redouter puisqu’ils piquent les racines, ce qui entraine des blessures qui s’infectent à tel point que ces tubérosités affaiblissent le pied qui finit par mourir après deux ou trois ans.

 

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Cycle de reproduction du phylloxéra

 

Comme vous vous en doutez en lisant les lignes qui précèdent, la reproduction du phylloxéra est très particulière et plutôt compliquée. En voici le cycle :

 

L’accouplement de la fin d’été entre mâles et femelles donne lieu à la ponte d’œufs d’hiver qui vont éclore au printemps pour donner vie à des femelles sans aile.

 

Ces larves descendront vers les racines et au bout de 3 mues (après 3 semaines), elles seront adultes et pourront pondre une centaine d’œufs maximum, tous femelles, par parthénogénèse, qui consiste à diviser un gamète femelle non fécondé. Ce cycle de parthénogénèse peut se répéter sur 5 à 6 générations.

 

Quand arrive à nouveau l’été, une nouvelle mue se produit pour toutes ces femelles qui deviennent alors des nymphes qui sortent de terre, et se transforment enfin en insectes ailés dont les œufs feront éclore indifféremment des mâles et des femelles qui ne vivront que le temps de l'accouplement afin de produire les œufs d'hiver.

 

Un nouveau cycle de reproduction annuel s’engage alors.

 

 

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Feuille de Syrah saine à gauche et malade à droite, on aperçoit une quantité de galles !

 

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A gauche une galle grossie 10 fois, à droite une galle grossie 40 fois laissant apercevoir des œufs et 2 larves

 

En ce qui concerne la reproduction du phylloxéra gallicole, il faut savoir que la femelle pond 600 œufs en moyenne, lesquels vont cribler les feuilles de vignes de galles dont sortiront des larves qui connaitront 4 mues avant de devenir adultes.

 

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Ce cycle pourra se répéter sur plusieurs générations mais restera sur les feuilles.

 

Ainsi le Phylloxéra détruisit la quasi-totalité du vignoble Français puis s’est propagé aux pays riverains.

 

Il ne fut identifié qu’en 1868 par le botaniste Jules Planchon de la faculté de pharmacie de Montpellier, mais on ne trouva pas tout de suite le remède !

 

Pourtant, il était déjà connu aux Etats-Unis où l’entomologiste Asa Fitch l’avait identifié dès 1854 en Californie et il lui avait donné le nom de « Pemphigus vitifoliae », mais il semblait ne présenter aucun danger pour la vigne américaine.

 

Plus tard, il a été trouvé dans l'état du Missouri par un certain Riley, puis par Walsh. En 1867, l’américain Henri Schirmer découvre un individu ailé et suppose qu'il s'agit d'un mâle. La présence de poils longs à l'extrémité des jarrets l'a amené à séparer cet insecte du genre « Pemphigus vitifoliae » et l'a baptisé « Dactylosphaera vitifoliae ».

 

De même, l'insecte est trouvé en Europe en 1863 par l’anglais Hammersmith, en particulier dans des serres en Angleterre et en Irlande, et il fut étudié en 1867 par l'entomologiste anglais Westwood, qui l'a nommé, lui, « Peritymbia vitisana ». Mais il ne se doutait pas qu’il pourrait présenter un danger du fait du peu de vignes cultivées en Grande Bretagne !

 

Dix ans après le début du désastre, le phylloxéra apparaît en 1875 en Allemagne, et quatre ans plus tard en Italie, puis la gangrène atteint toute l'Europe.

 

En 1878, l'invasion du phylloxéra avait déjà atteint 52 départements Français et touché 1,2 million d'hectares de vignes, soit environ la moitié de la superficie consacrée à cette culture.

 

En Espagne, on note sa présence dès 1878 dans la province de Malaga, mais on suppose que la peste existait depuis 1875. À peu près à la même époque est apparu un deuxième foyer à Gérone et quelques années plus tard il pénètre au nord du Portugal par les vignobles espagnols d'Orense.

 

De ces trois foyers les insectes se dispersent à travers le reste de l'Espagne et du Portugal, à l'exception des îles Canaries.

 

Toutefois, au Portugal, où quelques années auparavant on avait fait des plantations de vignes américaines on remarque, sans que cela attire l’attention, que ces vignes n’avaient subies aucun dommage causé par les insectes.

 

En France, tous les viticulteurs sont désespérés, essayant en vain toutes sortes de solutions.

 

En 1885, 20 ans après l’apparition de la maladie la récolte nationale française est tombée de 80 à 25 millions d’hectolitres.

 

Les différentes tentatives de lutte :

 

Pour combattre ce fléau, on a d'abord utilisé des insecticides, qui se sont révélés inefficaces, puis on a pratiqué l'immersion des vignes pendant l'hiver, de façon à noyer le puceron.

 

Si les vignobles de la plaine du Languedoc étaient facilement inondables, les meilleures vignes, en coteaux, ne pouvaient être protégées, et la maladie a continué à se propager.

 

Enfin, on a eu recours à l'utilisation de variétés résistantes, des hybrides obtenus par croisements avec des vignes américaines, mais dont la qualité était insuffisante.

 

A force de recherches désespérées la solution est alors apparue : le greffage !

 

On greffa les cépages français sur des porte-greffes américains naturellement résistants à l’insecte : et la reconstitution du vignoble est devenue possible.

 

En effet, chez les végétaux, la partie souterraine n'a qu'un rôle de tuyau convoyeur de la sève, qui apporte à la partie aérienne les éléments nutritifs et minéraux.

 

C'est la partie aérienne qui détermine la qualité, en l'occurrence celle du raisin et du vin.

 

Greffer les parties aériennes avec des cépages de vignes européennes sauvegardées sur des racines de vignes américaines, résistantes aux piqûres du puceron permit au vignoble de se reconstituer rapidement.  

 

Le greffage dont les viticulteurs français ont rapidement acquis la maîtrise a donc permis de reconstituer le vignoble français avec les cépages de qualité qui en avaient fait sa renommée.

 

A ce stade, je pense qu’il est utile de vous expliquer la technique du greffage, mais une petite vidéo de 2 minutes seulement vous en dira beaucoup plus :

 


 

 

Cela dit, de nos jours les techniques de greffage sont au point et l’on peut greffer avec 90% de succès n’importe quel cépage sur un plan américain qui ne craint pas le Phylloxéra.

 

D’ailleurs, des pépiniéristes se sont spécialisé pour la fourniture de plans greffés avec le cépage de son choix et qu’il n’y a plus qu’à planter. On appelle ces plans des « barbues » tout simplement parce qu’ils sont vendus avec leurs racines.

 

J’ai d’ailleurs eu l’occasion en 2018 de visiter un de ces pépiniéristes en Suisse, la SARL « Multiplants » à Vétroz dans le Valais et en quelques photos vous donne un aperçu :

 

31 - Barbues_pépinière .JPG     32 - barbues en feuilles.JPG
Le pépiniériste a planté en automne des « barbues » greffées qui ne tardent pas à verdir au printemps…

 

33 - barbus prêts à l'arrachage.JPG     34 - Barbue_noeud.JPG
   
A l’automne suivant lorsque le plant commence à faire des pampres, on l’arrache et on le taille à 1 œil,

 

35 - 0 - Encirage.jpg     35 - 1 - en cire.JPG

Puis on le trempe dans une cire de protection pour éviter le dessèchement de la tige

 

35 - 2 - Les-granulés-qui-retiennent-l-eau-polyter-JAF-info-Jardinerie-Fleuriste.jpg     35 - 3 - polyther.JPG
Puis on les met en bottes de 25 prêts pour l’expédition dans des cartons où on place entre les « barbes »,

Du POLYTER, une matière gélatineuse capable d’absorber 300 fois son volume en eau puis de la restituer.

 

Mais la crise a hélas ouvert la porte aux vins frelatés :

 

Après la destruction massive du vignoble, il y eut une pénurie de vins, ce qui encouragea la fraude et la fabrication de vins frelatés.

 

Par exemple, on faisait deux vins avec la même récolte : sur le marc, on rajoutait de l'eau et du sucre et l'on faisait fermenter. C'est ce que l'on appelait « la piquette ». Il fallut du temps pour réagir face à de tels abus.

 

En 1889, fut votée une « loi du 14 août » pour donner une définition légale du vin : « produit de la fermentation complète ou partielle du raisin frais ou du jus de raisin frais ».

 

Le 1er août 1905, est votée en plus, une loi instituant le Service de la Repression des Fraudes qui, au point de vue économique, fut l'une des plus parfaites et des plus efficaces ; les fraudes en effet, étaient devenues de plus en plus fréquentes et dangereuses par les progrès de la science, et en particulier dans le domaine de la viticulture.

 

Elle sauva de la grande crise des fraudes les vins ordinaires. Mais par contre coup la grave crise du vignoble fut suivie en 1907 d’une surproduction et d’une chute vertigineuse des cours du vin qui fit que la mévente entraînât à Narbonne une révolte des vignerons du Midi.

 

En 1907, en effet, les différentes tentatives pour enrayer la révolte des paysans du Languedoc finit pas tourner au drame.

 

En voici la genèse :

 

Le greffage des différents cépages français de renom qui permit de replanter la vigne surtout dans les plaines fertiles avec des plants américains, mais de nombreux petits vignobles de qualité, situés autrefois dans les coteaux, disparurent, en même temps que leurs cépages traditionnels.

 

D'autre part, les jeunes vignes, très vigoureuses, avaient de forts rendements.

 

Il y eut donc surproduction, ce qui provoqua une chute des cours et entraîna la ruine et la révolte des vignerons du Languedoc.

 

 36 - la révolte de beziers.JPG

La révolte des vignerons du Languedoc

 

A tel point que les 19 et 20 juin 1907, le gouvernement de Clémenceau dut faire intervenir l’armée à Narbonne. Mais hélas, les soldats manquèrent de sang-froid, et sur ordre, tirèrent sur les manifestants. Nombre d'entre eux furent blessés et cinq tombèrent mortellement sous les balles.

 

37 - 19JUIN 1907.JPG   38 - révolte des vignerons.JPG

Le lendemain, le 21 juin 1907, à Béziers, 500 soldats du 17ème Régiment d'infanterie (les pioupious) se mutinent, et fraternisent avec les manifestants.

 

Il faut dire que le contingent était en général incorporé sur place, et nombre de jeunes soldats ont des parents ou des amis parmi les manifestants. Il était fatal qu'à un moment donné, ils refusent de tirer sur les vignerons en mettant la crosse en l'air.

 

Immortalisés par la chanson du chansonnier Montéhus (cf. en tête d’article) : « Vous auriez, en tirant sur nous, assassiné la République », ils seront tous toutefois déportés au bataillon disciplinaire de Gafsa en Tunisie, mais le régime disciplinaire ne leur sera jamais imposé.

 

Dès le 23 juin, le Gouvernement, conscient du problème, fait enfin voter une loi contre la chaptalisation massive du vin à l’origine de la révolte. Du coup, après 1907, dans les régions, l’armée habituellement composée des jeunes recrues du contingent local sera beaucoup moins utilisée pour faire face aux grèves.

 

Cette première révolte eut sa réplique trois ans plus tard en Champagne où, tout comme en Languedoc, les événements ont secoué le vignoble champenois qui s'enracine dans la misère provoquée non plus par la chaptalisation, mais par la fraude et la mévente.

 

Dès l'automne 1910, les vignerons de la Marne protestent contre les pratiques frauduleuses de certains négociants, qui introduisent des vins de Touraine, du Languedoc et d'Espagne pour fabriquer du Champagne.

 

Les premières notions d’appellation d’origine :

 

Face à l'anarchie et à la fraude, provoquées par le phylloxera, les propriétaires de vignobles de qualité réagissent et souhaitent réglementer les limites géographiques de production, ce qui fut fait par la loi du 6 mai 1919.

 

Soucieux de défendre les vins de Châteauneuf-du-Pape à la renommée grandissante, les vignerons du cru vont être à l’origine du système actuel de l’AOC, l'Appellation d'Origine Contrôlée.

 

Jugeant la loi de 1919 sur les appellations d’origine trop générale - elle délimite uniquement les aires d’appellation - ils décident qu’il est grand temps de mettre en place une réglementation beaucoup plus stricte destinée à protéger leurs vins.


Aussi, en 1923, ils se rendent en délégation au Château Fortia, propriété du Baron Le Roy de Boiseaumarié, vigneron et juriste de formation, et lui demandent de les aider dans cette tâche.


Avec son éthique et sa droiture habituelle, il leur répond : « Je veux bien, mais à une condition, c’est que vous-mêmes donniez l’exemple de l’honnêteté et de la discipline. »


Le 4 octobre 1923 a lieu l’Assemblée Générale constitutive du « Syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf-du-Pape », dont la présidence est confiée au Baron Le Roy.

 

Sous sa houlette, les vignerons s’imposent des règles de production drastiques totalement inédites dont : la réglementation des modes de culture, la fixation d’un degré minimum d’alcool (12,5°), une liste restrictive des cépages autorisés, la vendange doit être faite manuellement - l'utilisation de machines est formellement interdite - et un tri de la vendange est obligatoire, on ne doit se servir que des grains en éliminant la rafle, facteur d'astringence, etc…

 

Il faut savoir qu'à l’origine, les vignes étaient complantées en « foule », à savoir que tous les cépages se trouvaient mélangés sur une même parcelle ; dès lors, le Baron Le Roy propose de séparer les cépages sur les parcelles afin de vinifier séparément les différents cépages qui n’ont pas tous la même période de maturité pour la vendange est présentent des durées de vinification différentes.

 

Ce patrimoine « ampélographique » provient en effet d’un travail de sélection élaboré depuis des générations par les vignerons de l’appellation et le Baron a la sagesse d’en tenir compte.

 

De fait, profitant de l’expérience de Joseph Ducos, le propriétaire du Château La Nerthe, au début du XIXème siècle, qui avait observé sur sa propriété le comportement d’une dizaine de cépages et avait pu établir précisément l’assemblage idéal type d’un Châteauneuf-du-Pape; il fut repris par le Syndicat en l’élargissant à 13 cépages.

 

En effet, le Syndicat limite dorénavant à treize cépages la composition des vins rouges de l’AOC Châteauneuf-du-Pape (94% de la production), mais également des vins blancs (6% de la production) dont, dans l’ordre habituel d’importance dans les assemblages :

Grenache (Noir, Gris, et Blanc), Syrah, Mourvèdre, Cinsault, Clairette (blanche ou rose), Vaccarèse, Bourboulenc, Roussanne, Counoise, Muscardin, Picpoul (blanc, gris et noir), Picardan, et Terret noir.


Pour assembler leurs vins, les vignerons de Châteauneuf-du-Pape peuvent depuis utiliser librement les cépages de cette liste, chaque exemplaire conférant sa particularité à l’ensemble.

 

De nos jours, pour les appellations méridionales des « Côtes du Rhône », le Grenache a l’ascendant dans la plupart des vins élaborés. Originaire de la péninsule ibérique, il a trouvé une terre d’élection à Châteauneuf-du-Pape.

 

Il faut savoir que le Grenache fait corps avec les sols pauvres et secs de l’appellation.

 

Rustique, il résiste à la chaleur et aux assauts répétés du vent, le Mistral. Colonne vertébrale des vins rouges, il leur apporte la structure, la puissance et l’aptitude à défier le temps. Pour atteindre l’équilibre, les vignerons l’assemblent généralement au Mourvèdre, à la Syrah et au Cinsault, mais chacun a sa propre « recette ».

 

Leurs travaux sont couronnés de succès le 21 novembre 1933 : la Cour de cassation confirme la délimitation de l’aire et les conditions de production de l’appellation. A l’exception de quelques modifications, elles sont toujours en vigueur pour protéger et garantir la qualité non seulement des vins de Châteauneuf-du-Pape mais de toutes les autres régions de production des vins français.

 

 

Enfin en 1935, est né le classement des AOC (Appellations d’Origine Contrôlée). 

 

La notion d'appellation d'origine fut ensuite complétée par la qualité du produit et ses conditions de production après le décret de l'appellation publié le 15 mai 1936 couronnant le succès de l’initiative des vignerons de Châteauneuf-du-Pape qui devient la 1ère AOC viticole de France.

 

Et là, il faut absolument souligner le rôle de premier rang de trois personnalités du monde viticole dont :

 

Pierre Le Roy de Boiseaumarié, déjà cité plus haut, dit « le baron Le Roy », vigneron à Châteauneuf-du-Pape, propriétaire du château Fortia, qui mit en place le syndicat des producteurs de Châteauneuf-du-Pape et fut par la suite l'un des cofondateurs de l’INAO. Un personnage que ce baron Le Roy!…

 

En 1907, alors qu'il était étudiant en droit et futur avocat à Montpellier, le bruit ayant couru que l'armée était prête à intervenir, il mit le feu à la porte du palais de justice de Montpellier pour empêcher la troupe qui s'était cantonnée à l'intérieur de tirer sur les manifestants !

 

 

Joseph Capus, ami du baron Le Roy, parlementaire de Gironde, devenu Ministre de l’Agriculture en 1924 sous la présidence de Raymond Poincaré, puis Sénateur, est à l’origine de la « Loi Capus » qui porte son nom quant à la création du « CNAO », le Comité National des Appellations d'Origine des vins et des eaux-de-vie, qui allait devenir par décret du 16 juillet 1947 l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine).

 

 

Et Edouard Barthe, le fils d'un viticulteur de Béziers, qui a étudié la pharmacie à Montpellier, est élu et réélu député de l’Hérault, Questeur puis Conseiller Général, membre de la SFIO puis du PSFU de Jean Jaurès ; surnommé le « député du vin », il fonde en 1932 la « Ligue des petits et moyens viticulteurs » et devient président de l’INAO.

 

Ils sont tous trois à l'origine du renouveau des appellations vitivinicoles en France et dans le monde.

 

Ainsi, dès 1937, et en ce qui concerne notre belle région de la vallée du Rhône et l’Occitanie est organisée l’AOC des « Côtes du Rhône » qui divise en deux les 15 grands Côtes du Rhône qui possèdent tous une identité très marquée.

 

Leur qualité d'expression leur fait atteindre des sommets et leur renommée, la multiplicité de leurs charmes en font des vins de légende dont l’Association « Inter-Rhône » dont le siège est installé à Avignon dans le magnifique bâtiment de l’Ancienne Banque de France, qui relie la place mythique de l’Horloge au Palais des Papes, et assure aujourd’hui la gestion et la promotion des vins des Côtes-du-Rhône :

 

1) Dans les Côtes du Rhône Septentrionales : Sont reconnus 8 grands crus, dont les Côte-Rôtie, Condrieu, Château-Grillet, Saint-Joseph, Crozes-Hermitage, Hermitage, Cornas et Saint-Peray. C’est le négociant Marcel Guigual à Ampuis qui, aujourd’hui, tient le haut du pavé.

 

2) Dans les Côtes du Rhône Méridionales : Sont reconnus 7 grands crus, dont les Châteauneuf-du-Pape (devenu le 1er grand cru et l’unique !), Gigondas, Lirac, Tavel, Vacqueyras, Vinsobres et Beaumes-de-Venise.

 

Quant aux autres appellations des vins de la Vallée du Rhône, elles conservent leur appellation d'origine de façon indépendante :

 

Coté Vallée du Rhône rive gauche 5 AOC dont les Coteaux du Tricastin, Côtes du Ventoux, Côtes du Luberon, Coteaux de Pierrevert et Diois (Vins de Die),  

 

Côté Vallée du Rhône rive droite on compte 15 AOC dont les Chusclan, Clairette de Bellegarde, Costières de Nîmes, Coteaux du Languedoc, Côtes du Rhône, Côtes du Vivarais, Duché d’Uzés, Coteaux du Languedoc, Laudun, Lirac, Pic-St-Loup, Saint Gervais, Signargues, Sommières et Tavel…

 

Mais plutôt que vous embêter avec une liste fastidieuse quant à l’Occitanie et les autres régions viticoles de France, vous pouvez en savoir plus en cliquant sur le lien du site du « Guide des Vins de France »

 

En 1945, sont ensuite créés les VDQS (Vins Délimités de Qualité Supérieure)

 

En 1947, le CNAO devient l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine)

 

En 1955, est institué le diplôme national d’œnologue.

 

En 1956, les gelées de février foudroient le vignoble français et plus particulièrement celui de la moitié sud du pays.

 

Depuis tout est allé de l’avant, l’arrêt des importations des vins d’Algérie par le port de Sète après l’indépendance en 1962 conduit à un phénoménal effort d’amélioration de la qualité d’abord des vignobles du Languedoc-Roussillon puis de la totalité du vignoble Français.

 

Coté Algérien, hélas, les 396000 hectares plantés par les viticulteurs français du Gard, de l’Hérault et de l’Aude qui, poussés par la crise du phylloxéra, s’étaient installé en Algérie dès 1880 et produisaient 18 millions d’hectolitres dans les années 1950 ne vont pas tarder à être arrachés sur ordre du Président Houari Boumediene qui, en l'absence d'un marché intérieur l’incite, en un premier temps, à se tourner vers les pays de l’Est grâce à Interagra, l’entreprise du « milliardaire rouge » Jean-Baptiste Doumencq.

 

Au début 1970 c’est un fiasco, parce qu’au cours de la crise diplomatique qui accompagne la nationalisation des hydrocarbures, la France menace de ne plus acheter de vin algérien, alors que celui-ci est encore la deuxième source de revenus en devises pour le trésor public Algérien et devant le peu de souplesse des nouveaux dirigeants Algériens, la France met sa menace à exécution !

 

Sous le coup de la colère, le président Boumediene décide l'arrachage de milliers d’hectares de vignobles. Une décision qui aura des répercussions tant sur le plan économique qu’écologique car les vignes freinaient considérablement l’érosion des collines.

 

Depuis les années 2000, pour les besoins de la balance commerciale, des plantations ont repris, notamment dans la région d'Aïn Témouchent, (situé idéalement sur un plateau à 200m d’altitude entre Oran et Tlemcen) qui tend à devenir le centre viticole de l'Algérie, mais il est bien trop tard pour reprendre la main.

 

Et les grands crus algériens, essentiellement obtenus à partir des seuls cépages Carignan et Cinsault encore appréciés jusque dans les années 80, tendent à perdre de leur spécificité. L’Algérie n’est pas prête à retrouver la splendeur passée de sa viticulture.

 

 

CONCLUSION :

 

Les maladies ravageuses, et les deux guerres mondiales qui ont représenté un autre obstacle à la croissance de la viticulture en Europe qui ne pouvant plus approvisionner le marché mondial comme avant, a déterminé un certain nombre de viticulteurs à quitter leur pays d’origine.

 

Je pourrais ici développer le drame vécu après la crise du phylloxéra à la fin du XIXème par les vignerons Espagnols du Rioja qui émigrèrent vers l’Amérique du sud et les vignerons du Languedoc désespérés qui émigrèrent en Algérie, aux Etats-Unis et en Australie pour essaimer dans le monde et donner naissance à de nouvelles régions de production.

 

Mais c’est une autre histoire du vin qui est en train de se jouer, car ces productions arrivent maintenant à se rapprocher des qualités et de la notoriété du Vin Français.

 

Toutefois, le vignoble Français ne s’est jamais aussi bien porté car désormais, nos œnologues maîtrisent parfaitement les techniques, savent développer la qualité en la tirant vers le haut et, fort heureusement le terroir diversifié et le savoir-faire de nos vignerons seront toujours le gage de la notoriété des vins Français et de leur succès. 

 

 


 

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

Alain Huetz de Lemps, né en 1926, est un géographe, botaniste, économiste français qui a commis plusieurs études pour le Centre d'Études et de Recherche sur la Vigne et le Vin.

 

Le site du Club Français du vin : https://www.clubfrancaisduvin.com/fr/le-mag/encyclopedie 

 

 

Histoire de la Lutte contre le Phylloxéra de la vigne en France de 1868 à 1895 : Livre broché publié par l'INRA en décembre 199E - Roger POUZET.

 

Chants du Chansonnier Monthéus : Difficile à classer celui-là… Les socialistes le réclament comme étant un des leurs mais aussi les anarchistes, les juifs, les communistes, les antimilitaristes, les syndicalistes, les pro-choix, les anticléricaux, les radicaux, les gauchistes et tout le prolétariat. Il lui est ainsi arrivé de se faire crever les pneus de sa voiture par les ouvriers du quartier où il chantait, son public étant, ce soir-là, composé de bourgeois.

 

Ses chansons d'une lointaine actualité, de 1897 à 1928 sont presque toutes oubliées. La petite histoire a retenu "Gloire au 17e", "La grève des mères" et "La butte rouge". - Il en écrit pourtant plusieurs autres : une bonne centaine sinon plus, en majeure partie mises en musique par son camarade Raoul Chantegrelet.

 

En voici quelques-unes chantées par Marc OGERET...

 

 


 

Publications et site de l’INAO : https://www.inao.gouv.fr/

 

Portail « Vigne et vin » de l’Encyclopédie Wikipédia.

  

Michel Bouvier, Le vin, c'est toute une histoire, Jean-Paul Rocher Éditeur, Paris, 2009, p. 25 (ISBN 2917411230)

 

Journal du CNRS (cliquer ici)

 

Rod Phillips, Une courte histoire du vin, 2001.

 

Christian Rico, « André Tchernia, Les Romains et le commerce », Pallas [En ligne], 88 | 2012, mis en ligne le 10 juin 2015, consulté le 21 août 2019. 

 

Ancien Testament, Genèse, 9, 20/21, Traduction œcuménique de la Bible. « Il planta une vigne et il en but le vin. »

 

« Arménie : Des archéologues affirment avoir trouvé les restes du plus vieux cerveau humain sur Nouvelles d'Armenie Magazine.

 

Site de RFI archives du 11/01/2011

 

Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle, Paris, 1959

 

Alexis Lichine, Encyclopedie des vins et alcools de tous les pays, Éd. Robert Laffont-Bouquins, Paris, 1984 - (ISBN 2221501950)

 

Jean-François Gautier, Histoire du vin, Presses universitaires de France, collection Que sais-je no 2676, Paris, 1992

 

Gilbert Garrier, Histoire sociale et culturelle du vin, Bordas Cultures, Paris, 1995

 

Jean-Pierre Saltarelli, Les Côtes du Ventoux, origines et originalités d'un terroir de la vallée du Rhône, A. Barthélemy, Avignon, 2000, 2000 (ISBN 2879230411)

 

Hugh Johnson, Une histoire mondiale du vin, Éd. Hachette Pratique, Paris, 2002, (ISBN 2012367585)

 

Pépinière « Multiplants SARL » à Vétroz dans le Valais en Suisse : producteur de Barbues. Avec mes remerciements pour le crédit photographique.

 

 


 

 



22/08/2019
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