LA SYNAGOGUE COMTADINE DE CAVAILLON, TÉMOIN DES «JUIFS DU PAPE»

 

 

Qui mieux que cet enfant du pays qu’est Darius MILHAUD,

(1892 - 1974) pouvait accompagner cet article;

Il est issu de l’une des plus vieilles familles juives Comtadine.

Cette région qui a abrité depuis des siècles les « Juifs du Pape ».

 

Un de ses parents, Joseph MILHAUD, a fondé en 1840 la synagogue d’Aix-en-Provence.

 

Voici l'hommage que lui ont dédié en concert 6 élèves de l’école de musique d’Aix le 30/7/2012

Pour le démarrer ou l'arrêter, cliquez ci-dessus sur un des symboles :

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Darius MILHAUD, à sa table de travail.

 


Avec mes copains de l’Association G20 « Les Séniors dans le Vent », nous avons consacré la journée du 20 octobre 2022 à découvrir les trésors de Cavaillon dont l’hôtel d’Agar, une bâtisse proprement incroyable qui n’a pas fini de nous révéler le riche passé de la ville de Cavaillon.

 

Nous consacrerons à l’hôtel d’Agar un article spécifique quand s’ouvrira l’annexe « Musée d’Agar » en 2026.

 

Cela dit, tout comme à Carpentras, Avignon ou l'Isle-de-Venise - devenue Isle-sur-la-Sorgue - la communauté Juive de Cavaillon vivait depuis le XVIème siècle dans un quartier à part, un « ghetto » et les « Séniors dans le Vent » l’ont visité.

 

En fait, à Cavaillon, le ghetto se résumait à une seule rue que l’on nommait « la carrière hébraïque », (« Carrière » = terme provençal qui signifie « Rue »).

 

Reconstruite en partie au-dessus de la carrière Hébraïque historique entre 1772 et 1774, la synagogue de Cavaillon, aujourd‘hui désaffectée depuis les années 1860, avec celle de Carpentras (la plus ancienne synagogue d’Europe et elle, toujours active) compte parmi les plus remarquables de France.

 

Elle est inscrite en plein cœur de la « carrière », dans ce que l’on nomme « l’ilot JOUVE » un groupe de maisons qui a appartenu à la même famille depuis la révolution jusqu'en 1938.

 

Cette famille JOUVE a en effet contribué à entretenir et conserver tout le pâté de maisons encadré par la rue Chabran, la rue Hébraïque, la place Castil Blaze et la rue de la république, englobant la « maison du rabbin » mais pas la Synagogue dont elle est pourtant l'espace majeur et qui appartient, elle, à la ville de Cavaillon comme tous les lieux de culte depuis la révolution.

 

Au décès, en 1938, de la dernière représentante de cette famille restée sans descendance, Marie-Thérèse JOUVE, cette dernière, a cru bien faire en léguant ses biens immobiliers de « l’ilot JOUVE » dont la « maison du rabbin » qu'elle habitait, à la fondation CALVET d’Avignon, à laquelle elle avait posé comme condition expresse de consacrer tout l'ilot à un « Musée de la juiverie et de l’histoire de Cavaillon ».

 

Si la Ville de Cavaillon est propriétaire de la Synagogue, elle ne l’est pas de ses dépendances dont la « maison du rabbin » et la maison abritant le bain rituel, le « Mikvé » situées chacune à l'un et l'autre bout de la rue.

 

Mais la fondation CALVET a voulu, depuis l’acceptation du leg, consacrer l’ilot JOUVE à une promotion immobilière…

 

C'était sans compter sur la mobilisation des habitants de Cavaillon qui s’y sont opposés avec véhémence (Cf. Pétition au sujet de la condition d’acceptation du leg), et tout a été suspendu depuis, mais hélas resté quasiment à l’abandon depuis 40 ans, sauf peut-être la magnifique maison de la place Castil BLAZE qui va probablement, enfin, être aménagée en « Musée d’atmosphère du XIXème siècle » de Cavaillon.

 

1 - 3 - Place Blaze 450 x 262.jpg
 
Le futur « Musée d’atmosphère du XIXème siècle » de Cavaillon

 

La fondation CALVET traine les pieds hélas, depuis 1982… mais intéressons-nous d'abord au principal bâtiment qu’est la Synagogue.

 

La Synagogue de Cavaillon était à la fois un lieu de prières, une école et un lieu d'assemblée de la communauté juive. Elle est aujourd’hui le témoin de cette vie collective.

 

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La Synagogue vue d’un drone

 

Cette situation à la fois d'exclusion et de tolérance mêlée, spécifique aux États Provençaux du Pape, est la seule encore lisible dans l'urbanisme des villes de l'ancien Comtat Venaissin.

 

La Synagogue est classée au titre des Monuments Historiques depuis 1924.

 

La Ville de Cavaillon, après avoir rappelé la fondation CALVET quant à ses obligations, a assuré la restauration intégrale de la Synagogue dès 1985/1987, appuyée par le Ministère de la Culture et de la Communication, la Fondation du Judaïsme français et le Conseil Général de Vaucluse.

 

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Entrée de la Rue hébraïque

 

Au nord de l’Ilot, des fouilles récentes ont révélé, depuis la fin du Moyen-Âge, la persistance d'une placette jouxtant la synagogue, dotée d'un puits - matérialisé au sol par un motif carré en pierres - juste devant l'entrée de la « maison du rabbin » qui conférait une certaine autonomie à la communauté.

 

Une deuxième ouverture a été pratiquée de ce côté-là au XVIIIème siècle, presque en même temps qu'a été prise la décision de reconstruire une nouvelle synagogue.


À quoi ressemblait la première synagogue de Cavaillon qui s'élevait à l'emplacement de celle encore visible ? On ne le sait pas hélas, bien que la tourelle au nord en donne une idée.

 

Elle est probablement un vestige délibéré, peut-être la survivance de l'escalier à vis qui permettait de distribuer les deux niveaux de l’ancienne synagogue.

 

Au XVIIIème siècle, la communauté n'a jamais dépassé 200 personnes, puis est retombée à 50 personnes vers 1850 et seulement une trentaine à la fin du XIXème siècle.

 

 

1 - 3 - vue de la façade et maison du Rabbin.JPG   1 - 3 - Entrée de la maison du Rabbin.JPG

Façade principale de la synagoge et la maison du rabbin à l'entrée de la rue hébraïque

(Le carré du pavement figure l'emplacement d'un puit pour la communauté...)

1 - 3 - la rue hébraïque.JPG   1 - 7 - Intérieur de la Rue Hebraïque Entrée de la Synagogue à gauche.jpg
Synagogue vue depuis la rue Hébraïque,

Les murs de part et d'autre viennent d'être restaurés avec un nouvel enduit.

 

1 - 13 - Fénétre avec troncs pour aumônes.JPG   1 - 12 - Fénétre avec troncs pour aumônes.JPG
A droite de l'entrée principale, la porte est équipée de 6 troncs pour les aumônes.


La carrière de Cavaillon était strictement délimitée, au sud, par la « rue Fabricis », actuelle « rue de la RÉPUBLIQUE », et au nord par la « rue CHABRAN » où se situait jusqu'au XVIIIème siècle son unique entrée, fermée chaque nuit par une grille en fer, ainsi qu’à l'occasion des grandes fêtes religieuses chrétiennes.

 

1 - 8 - Terrasse de la synagogue 350 x 262.JPG   1 - 9 - la synagogue 350 x 262.jpg

Entrée principale au 1er étage à partir d’une terrasse

Abritée par une tonnelle en fer forgé surmontée d’un balcon.

 

1 - 10 - Synagogue Entrée de la Salle de Prière.jpg   1 - 3 - vanteaux de la porte d'entrée.JPG
Entrée principale sur la terrasse de l'extérieur et de l'intérieur

 

1 - 11 - Entrée de la Salle de Prière.jpg
Le verset 20 du psaume 118 orne le fronton de l'entrée principale.

 

 

Dans un cartouche en pierre juste au dessus de la porte est gravé le début du verset 20 du Psaume 118 qui orne également le « hekhal », la porte de la salle de prière, à l’intérieur de la synagogue de Carpentras. « Voici la porte de l'Éternel, C'est par elle qu'entrent les Justes »...

 

La Fondation CALVET d’Avignon qui avait donc reçu en leg cet « Ilot JOUVE » de la famille JOUVE demeurée sans descendants, mais la prise en charge de sa restauration et son engagement à y créer et entretenir « un musée des Juifs Comtadins » auprès de la municipalité en 1986, en aménageant l’ancienne synagogue et ses dépendances, n’a pas satisfait les Cavaillonnais qui veulent se réapproprier le lieu et reprendre à leur compte ce quartier historique de Cavaillon (Cf. la polémique en cours) et nous avons pu avoir un aperçu de ce qui pourrait s’y installer.

 

Voici cet « Ilot JOUVE » et sa synagogue :

 

2 - 1 - G20 Cavaillon Capture cadastre.jpg
 Extrait du cadastre de la ville :

L'ilot JOUVE est tout ce qui se trouve à l'ouest (à gauche) de la rue hébraïque.

 

 2 - 2 - Cavaillon Ilot Jouve.jpg

Plan de « l’Ilot JOUVE » agrandi ci-dessus.

 

La fondation CALVET à Avignon a pu reconstituer les évolutions de l'ilot au cours des siècles qui ont évolué en relation directe avec l’importance de la population juive de la ville.

 

Ainsi voici ci-dessous, en 4 schémas, l’emprise du ghetto (quartier juif) au centre-ville de Cavaillon au cours des périodes de peuplement :

 

3 - G20 Cavaillon en 1545 350 x 262.jpg
 
Avant 1545 – Ancien ghetto juif

En rouge, le quartier juif,

En vert, futur emplacement du couvent des Dominicains,

En jaune, l’ancienne synagogue

 

 4 - G20 Cavaillon en 1545 à 1780 350 x 262.jpg

Limitation du ghetto juif de 1545 à 1780

En rouge, le quartier juif,

En vert, Couvent des Dominicains,

En jaune, la nouvelle synagogue

 

  5 - G20 Cavaillon en 1780 à 1796 350 x 262.jpg

En Rouge, le ghetto de 1780 à 1796

En bleu, extension du ghetto et construction de la « maison du Rabbin »

En vert, diminution concomitante du Couvent.

 

 6 - G20 Cavaillon en 1827 350 x 262.jpg

À partir de 1827

En rouge, emprise du ghetto,

En vert, aménagement du Couvent en îlot d’habitations,

ainsi qu'une Magnanerie et la « Maison AUGUSTE ».

 

 

2 - 3 -Plan de la synagogue350 x 450.jpg

Plan du 1er étage de la synagogue de Cavaillon

 

L’agencement de la synagogue de Cavaillon revêt des spécificités propres aux communautés juives du Comtat Venaissin et d’Avignon que l’on peut résumer en 3 types :

 

1 - une élévation sur deux niveaux, du fait du manque de place dans les carrières juives, avec, en haut, la salle de prière des hommes, et en bas, celle des femmes (servant aussi de boulangerie rituelle).

 

À Cavaillon, les deux volumes superposés sont reliés par un escalier extérieur (qui était interieur dans l'ancienne synagogue - Cf. la tour).

 

2 - une surélévation de la tribune réservée au « minian » à savoir le quorum de 10 officiants et au rabbin, est équipée d’une grande table de lecture (« Bimah » ou « Tebah ») surmontée d’un baldaquin oval.

 

 7 - Vue de la tribune en grand angle 600 x 350.jpg

Vue de la salle de prière depuis le Tabernacle

 

 8 - la synagogue 500 x 350.jpg

Vue de la tribune du rabbin côté Ouest et son escalier à double révolution

 

9 - Vue de la tribune du rabbin coté Est.jpg

Vue de la tribune du rabbin coté Est

 

Sur la photo ci-dessus, on peut apercevoir sur la droite, l’emplacement des femmes (« hezrat nachim ») qui était prévu dans la tourelle accolée au côté nord de la synagogue et qui faisait partie de l’édifice antérieur.

 

10 - Plafond de la salle de prière 350 x 262.jpg   11 - 1 - Arche Sainte vue de la tribune.jpg
Tribune du rabbin et en face en dessous, le Tabernacle

 

De ce fait, la table de lecture, surmontée du baldaquin orné d'une guirlande de roses et de coquillles, se trouve face au tabernacle qu’elle domine depuis la tribune du rabbin.

 

 11 - 2 - 1 - Tribune de la salle de prière 350 x 262.jpg  11 - 2 - 2 - la synagogue.jpg

 

3 - « le fauteuil du prophète ÉLIE », traité sur le mode symbolique : chef d'œuvre en miniature à Carpentras, grandeur réelle à Cavaillon, mais posé en hauteur sur une console en forme de nuage symboliquement à la droite du tabernacle (« birn »). A Carpentras, le fauteuil du prophète Élie date de 1774 I.E. la date de reconstruction de la synagogue, est un don de Jehouda, fils de Pinhas, en 5534 d’après l’inscription hébraïque mentionnée sur le dossier.

 

11 - 3 - Fauteuil du Prohète Elie 262 x 350.jpg

Le Fauteil du prophète Elie
 

Lors de notre visite, le fauteuil avait été descendu pour être restauré.

 

  11 - 4 - Fauteuil du Prohète Elie 262 x 350.jpg   11 - 5 - Support du Fauteuil du Prohète Elie 262 x 350.jpg

Le fauteuil du prophète Elie et son support sous le « Ner Tamid »

 

11 - 6 - Ner Tamid (lanterne de la lumière perpetuelle) 262 x 350P.jpg
 Le « Ner Tamid » ou lanterne de la lumière perpétuelle

 

Le vocabulaire architectural et ornemental de l’intérieur de cette synagogue est inspiré du baroque de style Louis XV où la feuille d’or est très présente et vient magnifier les pôles liturgiques.

 

On retrouve également des influences provençales et chrétiennes avec des motifs décoratifs que l’on pourrait trouver dans le salon d’un hôtel particulier ou dans une église.

 

 11 - 7 - Décor au dessus de la Tribune du Rabbin 350 x 262.jpg   11 - 8 - Détail d'un panneau de lambris 350 x 262.jpg

Détail d’un décor revêtu d’or et panneau surmontant le siège de l’officiant

 

Des lambris de bois peint en gris rehaussé de bleu et de jaune, des murs enduits et colorés en rose soutenu, des motifs de coquilles, de volutes ou de fleurs, des instruments de musique qui pourraient être représentés à l'identique des salons d'un hôtel particulier...

 

11 - 9 - siège 262 x 350.jpg
 Siège de l’officiant sur la tribune.

 

11 - 10 - élément du lambris mural 262 x 350.jpg

Moulures soulignée à la feuille d'or ou peintes en bleu.

 

Pour autant, la feuille d'or vient souligner voire magnifier les pôles majeurs de la liturgie que ce soit sur la tribune et pour le tabernacle.

 

Il faut savoir que la salle haute de la synagogue a fait l’objet d’une restauration complète en 1985-1986 qui lui a permis de retrouver sa décoration intérieure originelle.

 

Deux chandeliers à sept branches se détachent du garde-corps en ferronnerie, expressément commandé dans l'esprit des escaliers de l'Hôtel de Ville.

 

 

11 - 11 - Menorah.jpg
 
Deux grandes «Menorahs » de bronze doré sont fixées à la rampe de la tribune.

 

11 - 12 - Arche Sainte portes fermées 350 x 262.jpg   11 - 12 - Lustre central en bronze du 14ème 262 x 350.jpg
    

Devant le tabernacle, des lampes à huile, en tôle de fer peinte, sont suspendues par des chaînettes et les sept lustres en bronze massif qui sont suspendus au plafond ont été remployés du précédent édifice. Tous dédicacés, ils témoignent d'actes de piété individuels ou collectifs.

 

Les superbes portes en bois polychrome du tabernacle suggèrent, par leur module, la restitution d'un volume plus modeste, l'équivalent en plan de celui de la boulangerie située juste au dessous au niveau du rez-de-chaussée.

 

11 - 14 - Arche Sainte portes fermées 350 x 262.jpg   11 - 15 - Arche portes ouvertes 262 x 350.jpg

Portes du tabernacle clos à gauche, ouvert à droite.

 

11 - 13 - 1 - decor rampe 262 x 350.JPG   11 - 13 - 2 - decor rampe 262 x 350.JPG

Éléments de décoration de la rampe du tabernacle

 

11 - 16 - Support de la Houpa (dais Symbole d'hospitalité pour les mariages essentiellement) 262 x 350.jpg   11 - 17 - Le tabernacle 350 x 262.jpg

Support de la Houpa (dais pour mariages) et ancienne Porte du Tabernacle

(fixée au mur de la boulangerie)

 

L'éloignement, sur une tribune face au tabernacle, de la table de lecture de la Torah - fondement de la croyance - est une disposition profondément originale, sous-tendant une liturgie particulière, que l'on a pu reconstituer, impliquant une déambulation dans tout l'édifice, d’autant que l’armoire sainte (« Aron hakodech ») où sont rangés les rouleaux de la Torah était située à gauche du Tabernacle…

 

Ainsi, à Cavaillon (tout comme à Carpentras), les fidèles devaient tourner le dos à l’arche de la Torah s’ils voulaient faire face au rabbin, et vice versa.

 

Il faut savoir que dans la plupart des synagogues, le pupitre du rabbin se tient sur une « bimah », à savoir un podium, situé devant l’arche ou au milieu du sanctuaire.

 

Pour lire la Torah, les rabbins des deux synagogues devaient donc transporter le rouleau de la Torah jusqu’à leur balcon. La synagogue de Cavaillon dispose encore d’une arche portable, avec des roulettes.

 

11 - 18 - Aron hakodesh (armoire Sainte pour ranger les rouleaux de Torah) 262 x 35P0.jpg
 

La salle haute ne peut se dissocier de la synagogue basse, juste en dessous, comme à Carpentras, et servant également de boulangerie comme l'attestent encore la table à pétrir en marbre située dans l'excroissance de la tour - au nord - et le four à pain azyme - au sud.

 

 

11 - 19 - 1 - la boulangerie 350 x 262.jpg   11 - 19 - 2 - Niche du marbre de la boulangerie 350 x 262.jpg

La boulangerie avec son marbre à pétrir

 

11 - 20 - four de la boulangerie 350 x 262.jpg   11 - 21 - Pierre tombale de la boulangerie.JPG
Et, à l’opposé, le four de la boulangerie.

On aperçoit, exposée à gauche de la porte, des pierres tombales,

A gauche, celle-ci ornait la tombe de Rachel CAVAILLON décédée en 1867...

 

Nota Bene en aparté : à propos de cette pierre tombale qui fait partie d’un lot d’une dizaine d’autres mises à l’abri lors de la suppression des deux cimetières juif de Cavaillon en 1945:

 

Comme nous l’avions vu à Carpentras, au cours du XVIIème siècle et pour ne plus prêter le flanc aux quolibets, de nombreux chefs de familles juives adoptaient un patronyme qui n’avait aucune consonnance israélite, et de ce fait ils prenaient souvent le nom du lieu-dit ou du village qu’ils habitaient.

 

Ce fut le cas de la famille de cette Rachel « CAVAILLON », épouse de Salomon « DIGNE », ainsi que du dernier rabbin de la Synagogue qui se nommait, lui-même, Samuel « BÉDARRIDES »

 

Malgré leur nombre restreint, les « Juifs du pape », dont la plupart portent les noms des villes du Comtat et du Midi de la France, ont développé une vie religieuse et culturelle riche, originale par la langue, la création littéraire et la liturgie.

 

En effet, ils avaient leur propre parler intime : le judéo-provençal ou l’hébraïco-comtadin, appelé « chouadit » (de l’hébreu « yehudit »), un mélange de provençal vernaculaire (pour la majeure partie du vocabulaire), d’hébreu et d’autres termes particuliers.

 

L’une des dernières personnes connaissant ce parler fut Blanche MOSSÉ, la gardienne de la synagogue de Carpentras, encore après la Seconde guerre mondiale ; aujourd’hui il a pratiquement disparu hormis quelques familles qui l'entretiennent encore.

 

Si le « chouadit » fut la langue orale des « Juifs du pape », c’est d’abord en provençal qu’ils écrivirent leurs œuvres littéraires. Citons ici le rabbin Mardochée ASTRUC de L’Isle-sur-la-Sorgue qui composa La Reine Esther au XVIIe siècle, une tragédie reprise et augmentée au XVIIIe siècle par Jacob de LUNEL, rabbin de Carpentras, et imprimée dans cette ville en 1774.

 

L’écrivain Armand LUNEL y a puisé certains éléments pour son opéra-bouffe Esther de Carpentras, avec la musique de Darius MILHAUD.

 

C’est en langue provençale que le célèbre « Chant du chevreau » Cansoun dou cabri ou Had Gadya du rituel de la Pâque juive est chanté à la fin de la « Hagadah » (récit de la Pâque), les deux premiers soirs de cette fête.

 

Une production littéraire tout à fait originale est constituée par un ensemble de poésies appelées en judéo-provençal « lis obros » (œuvres) et en hébreu « pioutim » (cantiques) qui avaient la particularité de faire alterner un vers en langue hébraïque et un vers en langue provençale, constituant des pièces « farcies ».

 

Elles ont été composées pour diverses circonstances de la vie, surtout pour la circoncision et le mariage, ou pour certaines fêtes, notamment celle de « Pourim » et furent mises rapidement en musique.

 

11 - 22 - 2 - four de la boulangerie 350 x 262.jpg

Et son four, juste en face du marbre à pétrir.

 

11 - 23 - Porte du four de la boulangerie 350 x 262.jpg   11 - 23 - 2 - Voute du four de la boulangerie 350 x 262.jpg

Porte du four et derrière, la voute du four en cul de poule.

 

Le deuxième élément indispensable à la vie de la communauté juive, existe bel et bien non loin de la synagogue de Cavaillon, à l'autre bout de la rue hébraïque .

 

C’est le bain rituel (« Mikvé » du XIIème - XVIIIème siècle).

 

Le « Mikvé », est construit en sous-sol, à 7 mètres en dessous du niveau de la cour de la maison JOUVE situé au cœur de l'ancienne « carrière », au fond de la rue Hébraïque.

 

 

  11 - 24 - Porte de la cour du Mikvé.jpg   11 - 25 - maison Jouve Entrée du Mikvé sous l'escalier 350 x 262.jpg

Porte ouvrant la cour d’entrée de la maison JOUVE dans la rue hébraïque

 

L'accès actuel aux salles se fait par une porte, sous un escalier donnant dans la cour de la maison JOUVE, à savoir sous une des anciennes maisons de la carrière, non loin de la synagogue (Cf. le plan en début d’article).

 

11 - 26 - Soupirail du Mikvé 350 x 262.jpg   11 - 27 - Entrée du Mikvé 350 x 262.jpg
Soupirail du « Mikvé » dans la rue et cour de la maison JOUVE

 

   11 - 28 - Aeration de l'escalier du Mikvé 350 x 262.jpg   11 - 29 - Entrée du Mikvé 350 x 262.jpg
Ornement en fer forgé Louis XIII de l’ouverture de l'escalier de la piscine rituelle.

 

 11 - 30 - Escalier du Mikvé 262 x 350.jpg  

Escalier du « Mikvé ».

 

Le bain proprement dit est accessible par un escalier en équerre.

 

Son plan est en forme de « L » et il était placé au nord de la salle principale initialement divisée en deux petits volumes voûtés, séparés par un mur de refend percé d'une porte.

 

Une troisième salle voûtée a été ajoutée par la suite.

 

Il est alimenté par la nappe phréatique de 3 puits.

 

11 - 31 - Mikvé 350 x 262.jpg   11 - 32 - Mikvé 350 x 262.jpg

Le bassin du « Mikvé » (en hautes eaux et basses eaux)

 

Actuellement inaccessible au public pour des raisons de sécurité, ce bain rituel a été a été construit au Moyen-Âge et classé au titre des monuments historiques en décembre 2007, après une étude archéologique du site, réalisée par le Service d'Archéologie du Département de Vaucluse, financé par la Fondation Calvet, qui précise l'organisation originelle de ce bain.

 

Il faut savoir que le « Mikvé » (ou bain communautaire) est situé au centre de la pratique religieuse juive.

 

Le concept de pureté physique et spirituelle étant un pilier fondamental du judaïsme, ce bain est alimenté naturellement par la nappe phréatique.

 

Il est en effet indispensable que l'eau du bain au caractère sacré et cathartique provienne d'eaux vives (eau de source, nappe phréatique ou eau de pluie), permettant ainsi aux membres de la communauté d'assurer les rites purificateurs imposés par les décrets divins, qu'il s'agisse de rituels liés à la pureté familiale (pour les femmes, 7 jours après la fin de leurs menstruations ou après un accouchement, ou pour les hommes, en cas de souillure et aux prémices des principaux rituels de la vie : Bar Mitzvah, mariage...), de la purification de la vaisselle qui consiste en son trempage « Tevila Kelim » dans le cadre du concept Casher (le Pur), ou encore après avoir touché un mort ou un objet impur et, enfin pour les nouveaux convertis.

 

L'immersion complète assurait une purification symbolisant la renaissance du corps et de l'esprit.

 

En plus de la restauration des bâtiments, la Ville de Cavaillon avait décidé dès 1963 la création d’un musée en organisant la présentation du fonds de livres de prière, de manuscrits, d’imprimés, d’objets de culte et d’extraordinaires trouvailles provenant de l’ancienne communauté de Cavaillon que la famille JOUVE avait soigneusement mis à l’abri dès la découverte de la « genizah » - sorte de cimetière symbolique pour les objets de culte, situé dans la charpente, sous le toit de la synagogue - lors de travaux de restauration qu’elle avait commencé dès 1929.

 

À ce fonds, s’ajoute un mobilier unique et d’autres objets de culte du XVIème au XXème siècle auxquel sont venus s’ajouter des dons de descendants des « Juifs du Pape » et des stèles funéraires provenant des deux anciens cimetières juifs désaffectés de la colline Saint Jacques de Cavard, depuis les années 1950.

 

Le fonds s’est depuis enrichi de nombreux dons et acquisitions que la ville de Cavaillon a mis à disposition de la fondation CALVET lorsqu’elle a décidé en 1982 : Cf. délibération du conseil de lui confier l’organisation des collections et l’exploitation du musée.

 

La fondation CALVET avait aussitôt exposé un certain nombre d’objets dans des vitrines dans la salle du 1er étage, mais ceux qui avaient été exposés dans la boulangerie, du fait de son atmosphère très humide, ont dû être retirés par souci de conservation.

 

J’en ai fort heureusement retrouvé quelques photos que voici :

 

 26 - Assiette rituelle pour Pessah.jpg  27 - menorah lampe de Hanouka 320 x 290.jpg

Assiette rituelle pour Pessah (Pâque Juive)

Et une « hanoukyot » lampe pour « Hanouka »

(Contrairement à la « ménorah », « l'hanoukyot » compte 8 lumières et non 7...

Il y a une explication mais je vous laisse la découvrir Clin d'œil)

 

 28 - lampe de Hanoukha 320 x 290.jpg   28 - lampe pour Hanoukha 320 x 290.jpg

Deux autres « hanoukyot », lampes à huile anciennes en bronze pour hanouka

 

 

 30 - Porte-Schofar 320 x 290.jpg   31 - Paire de Rimonim en bronze 320 x 290.jpg

Porte-schofar (instrument de musique en forme de corne de bélier),

Et une paire de « Rimonims » (Poignées des rouleaux) en bronze

 

 32 - Rouleau JOUVE.jpg   33 - Yad 320 x 290.jpg

Un des nombreux rouleaux de la « Genizah »

Et un « Yad » pour sa lecture (hébreu : יד « main »)

Ou « etsba » (hébreu : אצבע « doigt »)

 

34 Cavaillon Synagogue Lampe en terre du 1er siècle après JC trouvée à Orgon (menorah en relief) 400 x 300.JPG
 Une lampe à huile en terre cuite du 1er siècle trouvée à Orgon portant

En relief une double menorah du temple de Jérusalem

 

La découverte dans les années 1960 de cette  lampe à huile à Orgon dont la datation a été officialisée avec précision au carbone 14, comme datant de la destruction du 2nd temple de Jérusalem en 70, atteste la présence de juifs dans la région dès le 1er siècle de notre ère.

 

Cela dit, il est prévu un vaste chantier de mise en valeur de l’ilot JOUVE mais les démarches administratives et judiciaires sont longues, à la suite de l’incident de parcours dû à l’intention de la fondation CALVET de mettre en place un projet immobilier.

 

Tout est figé depuis plusieurs années...

 

En attendant, voici quelques photos du passé au tout début du XXème siècle !

 

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Achille et Lucie Astruc devant l’Arche Sainte de la synagogue (1920)


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BIBLIOGRAPHIE

 

Plusieurs revues ont été exploitées dont plusieurs Numéros de « l'écho des carrières » :

https://acjp.fr/uploads/articles/a5b6102b6f8064a9db61f697f3351299.pdf 

 

Pour visiter le musée :

https://www.destinationluberon.com/decouvrir/sites-culturels/synagogue-de-cavaillon

 

Delphine HORVILLEUR (Une des rares jeunes-femmes Rabbine contemporaine) « Vivre avec ses morts » en livre de poche.

 

Aline BALDINGER-ACHOUR « Petit guide des grandes religions » Éditions Liana LÉVI.

 

Jean-Christophe ATTIAS et Esther BENBASSA « Des cultures et des Dieux » chez Fayard.

 

Ministère de la Culture : site https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/museo/M0954

 

Sources d’une partie de l’histoire :

https://www.pop.culture.gouv.fr/search/list?mainSearch=%22synagogue%20de%20Cavaillon%22

 

A propos des cimetières Juifs de Cavaillon :

https://acjp.fr/uploads/articles/e4eda8bc11102524ae0b149b5df636b5.pdf

 

Intéressante étude quant aux patronymes des habitants des 4 carrières des Juifs du Pape :

https://acjp.fr/uploads/articles/f5945b525aa5fac0f8c96a49e80990ba.pdf 

 

Extrait du journal intime de Michel JOUVE, propriétaire de « la maison du rabbin » :

La communauté juive de la ville était ainsi réduite à 49 personnes au début du XIXe siècle. 

 

A la fin du XIXème - début du XXème siècle, la famille JOUVE, qui occupe la maison voisine de la synagogue, se soucie de l’avenir de la communauté et de son patrimoine : « C’était, ces jours-ci, fête juive. Je me rappelle qu’autrefois, à de pareils jours, à travers le mur qui sépare notre maison du Temple israëlite nous entendions les chants gutturaux des fidèles hébraïques […] D’adorateurs zélés, plus même un petit nombre. Ni chants, ni cérémonie ? Seule, la vieille Mme ASTRUC vient passer la journée sur la terrasse du Temple. […] Marie-Thérèse et moi faisons une visite au sanctuaire abandonné, nous sommes ses derniers fidèles » (Michel JOUVE, carnet intime, 17 septembre 1899, Musées et Patrimoine de Cavaillon, cité dans Sylvie GRANGE, Une famille en Provence, p. 146)

 

Petite vidéo de 3 minutes quant à l’histoire des « Juifs du Pape » :

 

 

Longue vidéo de 48 minutes quant à la présence des Juifs dans le Comtat Venaissin au XIVème :

 

 

 

Darius MILHAUD : Service Sacré, chœurs RÉNANIM, direction : Avner SOUDRY, Carpentras 2013... Pièce de musique religieuse écrite par Darius MILHAUD sur une commande en 1947 de la Synagogue réformée de San-Francisco. Le compositeur, lui-même d'origine juive et ayant composé d'autres œuvres d'inspiration hébraïque, a repris le rite provençal comme base à sa musique.

 

 

Musique d’accompagnement par 6 jeunes élèves du conservatoire d’Aix en Provence qui se sont succédé pour rendre hommage à Darius MILHAUD :

 

 


 



30/03/2025
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