EDGAR MORIN, 102 ans en 2023 : « SE SOUVENIR DE L’AVENIR » !
EDGAR MORIN : « SE SOUVENIR DE L’AVENIR » !
« La crise française doit être située dans la complexité d’une poly-crise mondiale » !
Dixit Edgar MORIN alors qu’il vient de souhaiter son 102ème anniversaire,
Ce 8 juillet 2023, Et il ne désarme pas !
Edgar MORIN avec son épouse Sabah ABOUESSALAM
Pour fêter dignement ses 100 ans, celui qui allait devenir le tout nouveau responsable du Festival d’Avignon en 2023, Tiago RODRIGUES, avait programmé dans la cour du Palais des Papes pour la soirée du 14 juillet, une date hautement symbolique, une conférence d’Edgar MORIN intitulée « SE SOUVENIR DE L’AVENIR » en la ponctuant d’interventions théâtrales et musicales !
… J’avais ferraillé pour avoir une place et, au dernier moment, la conférence a été annulée.
Préparation de la conférence dans la cour d’honneur du Palais des Papes
Avec la complicité du photographe Christophe Raynaud de Lage !
Qu’à cela ne tienne, avec son épouse Sabah ABOUESSALAM, il vient de rédiger ce 29 juillet 2023, deux ans après, un article pour le Monde sur « SE SOUVENIR DE L’AVENIR » où est traité l’état de notre démocratie française dans la complexité d’une poly crise mondiale !
Edgar MORIN fait partie des derniers penseurs du XXIe siècle.
Si la science a établi l’hyperspécialisation dans chaque domaine, Edgar MORIN traite l’humain dans sa globalité, en tant qu’être complexe. Il a donné les prémices à plusieurs études qui impactent directement les sociétés.
Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui vous la restituer in extenso, et je vais laisser la parole à ce grand homme ! La Voici... Mais n'omettez surtout pas d'aller visionner les quelques vidéos que j'ai mis en fin d'article pour une meilleure compréhension :
LA FRANCE RÉPUBLICAINE DU XXème SIÈCLE, ÉTAIT « UNE ET INDIVISIBLE »
Elle était aussi multiculturelle, avait intégré des peuples divers, comme les Bretons ou les Alsaciens, qui avait pourtant gardé leur culture et parfois leur langue.
Ce trait s’est amplifié et modifié.
Les premières vagues d’immigration ont eu pour origine la pauvreté des pays voisins : l’Italie, la Belgique, l’Espagne, puis le Portugal et la Pologne. Suivirent des vagues fuyant les persécutions : arméniens de l’Empire Ottoman, juifs de Russie et de Pologne, au russes blancs, républicains espagnols.
Bien qu’ils aient subi des rejets à leur arrivée, ces immigrants se francisèrent souvent à la deuxième génération, par mariage mixte ou par l’emploi.
Après la seconde guerre mondiale, la pauvreté du Maghreb et de l’Afrique ainsi que les besoins industriels de travailleurs à bon marché suscitèrent de nouvelles immigrations, différentes de couleur, de mœurs ou de religion. Les conditions d’intégration furent plus difficiles pour les nouveaux venus.
Le racisme à l’égard d’anciens colonisés, la quasi relégation dans des banlieues, les échecs à trouver du travail, les désarrois où la délinquance d’une jeunesse sans avenir, etc. Tout cela a fait obstacle.
UNE NOUVELLE FRANCE S’EST LENTEMENT CONSTITUÉE.
Elle garde ses racines historiques et acquièrent simultanément certains aspects des nations américaines où le melting-pot, plus ou moins réussi, comporte une part de population traitée comme si elle était composée de sous-citoyens.
Or toutes ces personnes humiliées ont besoin d’être reconnues dans leurs qualités proprement humaines. Ce besoin de reconnaissance, souvent invisible, peut s’exprimer de façon pacifique ou parfois, violente.
Depuis la révolution, la France a toujours été divisée. Cela a donné lieu à des affrontements lors des révolutions de 1830 et 1848 et lors de la Commune de 1871, ou à d’intenses polémiques autour de l’instauration de la laïcité ou de l’affaire Dreyfus.
Endormie pendant la guerre de 1914-1918, la division est revenue sous une forme exacerbée avec la crise économique, sociale et politique des années 1930-1940.
DÉVELOPPEMENT DE L’INDIVIDUALISME
La défaite de 1940 permit à la France réactionnaire de prendre le pouvoir et de destituer juifs et naturalisés.
La chute du régime de Vichy, en 1944, réduisit au silence ses partisans.
La guerre froide porta la division entre, d’un côté, les anticommunistes de droite et les antistaliniens de gauche et, de l’autre, les communistes, fort d’un tiers de l’électorat.
La crise du communisme, déclenchée en 1956 par le rapport Khrouchtchev et l’écrasement des révoltes en Pologne et en Hongrie, coïncida avec l’enlisement français dans la guerre d’Algérie, qui suscita le putsch des généraux de 1958, le recours à De Gaulle et la chute de la IVe République.
De Gaulle établit un régime présidentiel avec l’appui d’une majorité électorale, tandis que s’affirmait une opposition de gauche et qu’à partir des partisans vaincus de l’Algérie française se constituaient un noyau d’extrême droite.
La révolte étudiante, et plus largement juvénile, de 1968, motivée par l’aspiration à une autre vie que celle, domestiquée, des générations adultes, déclencha une vague populaire et une grève nationale.
Après la démission de Charles De Gaulle en 1969, la politique française fut dominée par l’opposition droite-gauche qui, après deux présidents de droite (Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing), porta au pouvoir le leader officiel de la gauche François Mitterrand, puis l’alternance recommença.
Au cours de ce processus, la droite classique devint modérée et la pensée politique socialiste se désintégra.
Le Front National, créé en 1972, atténua sa virulence en passant de Jean-Marie Le Pen à Marine Le Pen, puis entra au Parlement et pourrait désormais accéder au pouvoir.
Mais 68 fut une alerte dans un processus continu de dégradation des vertus de notre civilisation et d’aggravation de ses vices. Les solidarités – de la grande famille, du village, du voisinage, etc. – se sont affaiblies ou dissipées.
Le développement de l’individualisme, positif quant à l’autonomie personnelle, devint progressivement négatif en suscitant égoïsme et solitude. L’anonymat des grandes villes se renforça au détriment des relations humaines et de l’attention à autrui.
Cette crise de civilisation s’est aujourd’hui amplifiée et approfondie en crise de la pensée.
Nous vivons de plus en plus sous l’emprise d’une réflexion disjonctive et unilatérale incapable de lier les connaissances pour comprendre les réalités du monde où interagissent les matières et activités. Figée dans des disciplines closes, elle est incapable de concevoir la multi dimensionnalité et les contradictions inhérentes à un même événement.
Elle nous aveugle sur les phénomènes complexes de notre vie et de notre temps.
Le lycée et l’université ne fournissent que des savoirs séparés et aucune réforme comme celle que j’ai proposée – dans « les sept savoirs nécessaires à l’édification du futur » (seuil, 1999) – n’a été conçu, tandis que l’école en crise n’arrive plus à effectuer l’intégration.
Il s’agit en même temps d’une crise de la pensée politique. Toute politique suppose une vision du monde et de l’humanité, une connaissance de l’économie et de l’histoire, ce que firent de façon différente et antagoniste Tocqueville, Marx et Maurras.
Socialisme et communisme étant désormais dénués de tout contenu, ce vide est grave pour ceux qui aspirent à une autre société.
La désindustrialisation de notre économie et l’industrialisation de l’agriculture sont devenus de maux conjoints qui aggravent la crise de l’État bureaucratisé, sclérosé et parasité à ses sommets par les lobbies.
La crise de la famille se manifeste par la dislocation des liens entre générations, les séparations des couples, l’expédition des vieux dans les EPHAD.
La crise du sacré affecte la vénération des parents, le sens immémorial de l’hospitalité, le respect d’autrui, le statut accordé à l’État et à la nation.
La crise de la médecine est liée à la déchéance du médecin généraliste par rapport aux spécialistes, alors qu’il devrait être le chef d’orchestre qui relie les savoirs spécialisés ; elle est inséparable de l’hégémonie des grandes firmes pharmaceutiques sur le monde médical.
TERRITOIRE DE DÉSINTÉGRATION
La crise écologique planétaire, reconnue scientifiquement depuis le début des années 1970, menace non seulement notre biosphère, mais aussi nos personnes et nos civilisations.
Partout dans le monde, le profit contrôle les états et les sociétés, favorisant souvent les dictatures.
Partout la démocratie est sur la défensive et apparaissent les dangers d’une société de surveillance et de soumission par le contrôle numérique de tout individu, de ses écrits, faits et gestes.
La Chine en est un exemple. S’ajoute maintenant l’agression de l’Ukraine par la Russie, ayant entraîné une guerre internationale, militairement limitée en Ukraine, où s’opposent deux géants planétaires, la Russie et les États-Unis, et qui peut s’aggraver en un désastre mondial.
Ainsi, de multiples troubles s’entremêlent dans une poly crise planétaire.
Notre pays est entraîné dans ce tourbillon qui accroît les oppositions et conflits entre les deux France.
Les grandes manifestations contre la réforme des retraites n’ont pas seulement été l’occasion des violences et déprédations d’une marge de « black blocks », mais aussi d’un dépassement de la critique politique dans des attaques personnelles et injures, dégradant ainsi le débat public.
Le langage réactionnaire s’est aussi fortement dégradé, entre l’imbécile stigmatisation de « l’islamo-gauchisme » et la reprise des discours complotistes ou poutinistes, alors que les excès de la contestation se sont aggravés lors des émeutes qui ont suivi la juste indignation provoquée par le meurtre du jeune Nigel M. par un policier le 27 juin à Nanterre.
Il y a toujours eu des casseurs, mais, jusqu’à présent, rien de tel que les destructions aveugles commises par des adolescents de parfois 13 ans.
Pour les comprendre, il faut rappeler que les banlieues sont des territoires non d’intégration, mais de désintégration, qui cumulent les séquelles de la colonisation, le chômage et le désœuvrement, l’accroissement de la violence policière et de la violence anti policière.
Les familles décomposées ou impuissantes, ne peuvent contrôler leurs adolescents là où prolifèrent gangs et trafics.
L’échec de l’intégration par l’école, les lacunes des politiques de la ville, l’absence de mentors, le manque d’une police de proximité et l’inégalité des chances entretiennent révolte et fanatisme.
Il faut aussi reconnaître les processus psychologiques à l’œuvre : de l’indignation à la colère, de la colère à la haine, de la haine à la rage, de la rage à la folie aveugle de destruction.
Des adolescents ont non seulement détruit et brûlé des autobus et des voitures, mais se sont attaqués à des édifices publics (commissariats, écoles, centres sociaux, mairies) et même à des bistrots et à de petits commerces.
À la différence des djihadistes motivés par la haine des mécréants, on constate ici le contraire de la foi : une sorte de nihilisme.
Au-delà de la rage après la mort de Nigel M., il semble que l’ivresse de tout casser et de mettre le feu a été vécu comme une fête noire par ces acteurs.
L’événement peut être lu de deux façons différentes : soit comme révélateur du mal profond qui ronge notre société, soit comme un accès de folie adolescente, collective et passagère.
Quoi qu’il en soit la crise française doit être située dans la complexité énorme d’une poly crise mondiale et dans le contexte d’un recul des démocraties au profit de sociétés de contrôle et de soumission.
Outre cette poly crise, plane la menace d’une troisième et nouvelle guerre mondiale, qui a commencé de façon larvée et apparemment locale entre la Russie et l’Ukraine.
De ce fait, deux tâches politiques, préliminaires à toute solution globale, s’imposent :
La première est de tout faire pour arriver au plus tôt à une paix négociée entre la Russie et l’Ukraine.
La seconde est de tout faire pour éviter que notre république ne sombre, progressivement ou brutalement, dans une société de soumission.
FRANCAIS... Reveillez-vous !
Depuis 2018 Edgar MORIN demeure à Montpelleir où avec son épouse Sabah, il participe avec elle à sa réflexion sur l’aménagement du territoire, sur la pauvreté urbaine et sur les stratégies d’acteurs dans les politiques de gouvernance urbaine.
En février 2018, Philippe SAUREL, Maire de la Ville de Montpellier,
a remis la médaille de Citoyen d'Honneur à Edgar MORIN,
Suivent quelques vidéos que je vous engage à visionner en commençant par la 3ème qui est éclairante même si elle est un peu longue !
Elles vous aideront à y voir plus clair et faire vôtres les arguments d'Edgar MORIN pour oser tenir tête à ces complotistes ou défaitistes qui nous entourent et essayer de convaincre votre entourage par l'exemple, car il va nous falloir convaincre pour arrêter d'assister avec impuissance à la crise que notre monde démocratique est en train de vivre sans avoir le courage de dire NON !
En voilà assez Mr Poutine, Mr Erdogan, Mr Xiaoping, Mr Bachar El Assad, Mr Netanyahu et tous les autres que les Nations Unies semblent ne pouvoir empêcher de nuire... Et je suis desespéré en constatant qu'un peuple démocratique extraordinaire et multi-culturel de 342 millions d'humains comme celui des Etats-Unis ne trouve qu'un Trump complètement débile, ou un vieillard sénile comme Biden pour lui donner le cap !
Tout d'abord, une conférence offerte aux étudiants de l'niversité de Nantes en 2018 sur la « REFONDATION DE LA PENSÉE » (Il n'avait que 98 ans !...)
En 2015, Edgar MORIN a été interviewé par Antoine PEILLON, et voici ce qu'il pensait, et il n'a pas changé depuis :
Et une rencontre étonnante entre Edgar MORIN, chez lui, à Montpellier et Pierre RHABI dont j'ai été un fidèle suiveur pendant des années juste avant qu'il ne nous quitte à Noël 2021 à 83 ans seulement... après deux ans de confinement COVID !
Et le défi de la Complexité !
BIBLIOGRAPHIE
Le Monde – Edition du Samedi 29 juillet 2023.
Edgar MORIN est sociologue et philosophe. Avec son œil malicieux, il vient de publier en juin « Encore un moment… » Textes personnels, politiques, sociologiques, philosophiques et littéraires » (Denoël, 208 p., 18 €)
La Revue Pour l'intelligence du monde - Bimestriel n° 94 de Juillet-août 2021 - Témoignage de son épouse Sabah quant à la personnalité d’Edgar