LE PROTESTANTISME : FOI HERETIQUE, FOI PERSONNELLE !

 

 

« Quand j'entends dire que beaucoup de catholiques ne considèrent plus

le protestantisme comme une hérésie, je m'en inquiète :

le protestantisme aurait-il cessé d'être un choix ? »

(dixit André GOUNELLE*)

 

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Avant tout, pour ceux de mes lecteurs qui ne connaissent pas le Protestantisme, et ses différences par rapport aux autres sensibilités chrétiennes, j'ai commis un petit dépliant à l'usage des visiteurs du Temple d'Avignon qu'ils peuvent trouver à l'entrée... Vous le trouverez, vous, en cliquant ici !

 

Le Protestantisme a tou­jours affirmé la néces­sité et la valeur de la foi personnelle.

 

Que faut-il entendre par « foi personnelle » ?

 

Pour sa part, André GOUNELLE* répond à cette question bien mieux que je ne pourrais le faire, alors je vous donne sa réponse :

 

 

C'EST UNE FOI HÉRÉTIQUE, RESPONSA­BLE, RÉFLÉCHIE ET TOLÉRANTE.

 

Elle est, d'abord, hérétique :

 

« Hérésie » vient d'un mot grec (αἵρεσις = haïresis) qui signifie « choix ».

 

      • L'hérétique est un homme qui choisit ses propres croyances et opinions;
      • il ne se les laisse pas imposer par qui que ce soit;
      • il n'accepte jamais purement et simplement les enseignements et les pratiques des autorités. Certes, il n'est pas automatique­ment contre, il ne fait pas d'oppo­sition systématique, mais il n'est pas non plus automatiquement pour, il n'est pas d'avance sou­mis;
      • il exerce un jugement, et opère un tri;
      • il refuse que l'on décide à sa place.

 

En 1529, à la Diète de Spire, les princes qui protestaient (d'où le nom de « protestants ») contre l'Empereur Charles-Quint qui voulait interdire le luthérianisme ont déclaré : « Pour ce qui concerne la gloire de Dieu, le bon­heur et le salut des âmes, chacun paraitra devant Dieu, et lui rendra compte pour sa propre personne sans pouvoir alléguer comme excuse des décisions prises à la majorité des suffrages. »

 

Il n'appartient ni au pape, ni au concile, ni à un synode, ni au Conseil œcuménique des Églises de déterminer ce que je pense, ce que je crois, et ce que je dois faire ou ne pas faire.

 

L'hérésie suppose la liberté ; elle nait d'une relation et d'une décision. Aussi faut-il la favoriser.

 

« Quand j'entends dire que beaucoup de catholiques ne considèrent plus le protestan­tisme comme une hérésie, je leur sais gré de leur intention, mais je m'en inquiète et je m'en chagri­ne car cela signifie que, pour eux, le protestantisme n'est plus un choix, mais un conformisme ».

 

Mon rêve serait qu'il n'y ait dans le christianisme que des hérésies et des hérétiques, autrement dit, que chacun soit appelé à faire des choix, et en ait la possibilité. Une foi personnelle implique une atti­tude hérétique.

 

Elle est responsable.

 

Je prends ici « responsable » au sens de celui qui répond, et qui par conséquent entre dans un dialogue où il parle, certes, mais où, d’abord, il écoute.

 
Choisir ses opinions, décider de ses croyances, se conduire en hérétique ne signifie pas s'isoler et se singulariser à tout prix. Il ne s'agit nullement de s'enfermer dans sa propre inté­riorité, de ne compter que sur ses seules ressources, et d'ignorer ou d'écarter qui qui se passe autour de soi.

 

Un homme responsable confronte ses positions avec d’autres ; il accepte la discussion et la critique ; il prête attention ce qu'on lui dit. Il reçoit de l’extérieur des suggestions, des impul­sions, des interpellations, parfois même, des illuminations. Il n’a rien d'un sourd qui monologue­rait dans le désert, et penserait ainsi préserver sa liberté et sa personnalité.

 

Personne n'a le droit de me dicter mes paroles et mes confes­sions de foi : elles doivent être vraiment miennes pour être authentiques. Mais mes paroles et mes confessions s'insèrent dans un réseau d'échange ; elles répon­dent à quantité d'autres voix.

 

D'abord, bien sûr, à la voix de Dieu ; pour un chrétien, l'écoute première et fondamentale est celle de la Parole qui à travers les textes bibliques nous est adres­sée ; c'est devant cette parole qu'essentiellement il se sait res­ponsable ou répondant. Il sera également attentif à la voix des autres, il arrive d'ailleurs que Dieu nous parle par les autres.

 

Dans tous les cas, l'écoute demande du discernement (même dans la Bible, il faut opérer un tri ; tout n'y a pas la même valeur, et tout ne se situe pas sur le même plan), et elle débouche sur une décision. Être responsa­ble signifie prendre parti en réponse aux paroles que nous entendons, et aux situations que nous vivons.

 

Elle est réfléchie.

 

L'hérétique, a écrit André GOUNELLE, ne se laisse pas dicter ses croyances, il exerce un jugement ; le responsable doit faire preuve de discerne­ment dans son écoute pour que la réponse sait pertinente.

 

Il en découle, bien évidem­ment, qu'une foi hérétique et res­ponsable ne peut être que réflé­chie, puisque le jugement et le discernement relèvent de la réflexion. Pour beaucoup, la foi s'oppose à la réflexion. Les anti­cléricaux ne cessent de répéter, hélas non sans motifs, que la reli­gion a toujours favorisé l'abrutis­sement et l'obscurantisme. De leur côté, bien des croyants se méfient terriblement de la réflexion dont ils redoutent qu'elle mine et détruise la foi. Il y a quelques années, un professeur d'université me disait : « Vous théologiens, vous êtes dangereux, et l'Église devrait vous interdire ; vous voulez obliger les gens à réfléchir, or la foi consiste à se soumettre, et non à réfléchir »

 

Ce propos me parait totalement faux. À mon sens, c'est, au contraire, le manque de réflexion qui rend la foi fragile ; car alors, elle se trouve sans défense contre les objections qui lui sont adressées ; elle ne sait pas bien sur quoi elle se fonde ; elle adhère à des croyances absurdes qui ne résistent pas au plus petit exa­men. Craindre la réflexion, c'est avoir peur de la vérité ; c'est oublier que nous devons aimer Dieu non seulement de tout notre cœur et de toute notre âme, mais aussi de toute notre pensée. Le protestantisme libéral a été, et continue d'être un immense effort pour penser la foi, et je crois qu'il a raison, même si ainsi, incontes­tablement, il prend des risques (une foi qui n'ose pas prendre des risques est-elle vraiment une foi ?) Appeler à la réflexion, c'est favoriser la liberté, la res­ponsabilité et l'authenticité ; sans réflexion, il n'existe pas de foi personnelle.

 

Enfin, elle est tolérante.

 

Les choix que nous taisons, les répon­ses que nous donnons aux paroles et aux évènements, les chemins que prennent nos réflexions sont forcément divers. Nous ne som­mes pas identiques, nos situa­tions, nos sensibilités, nos expé­riences, nos pensées diffèrent, et c'est normal. Seul un système tyrannique peut imposer à tous les mêmes déclarations, les options ; il crée ainsi une unanimité et une identité apparentes au prix d'une terrible déperson­nalisation.

 

Vouloir une foi per­sonnelle implique qu'on accepte qu'il y ait des différences. Si je suis responsable de mes croyan­ces, les autres sont également responsables des leurs ; je dois admettre que leurs choix ne soient pas les miens, et qu'ils n'aient pas les mêmes hérésies que moi.

 

Je peux être en désac­cord avec eux, estimer qu'ils se trompent ; je peux leur en parler, discuter avec eux, chercher une entente. Mais je n'ai pas le droit de les exclure ou de les condam­ner parce qu'ils ne pensent pas comme moi, ou comme la majori­té. Je ne peux pas, sans inconséquence, vouloir que les mêmes formules soient acceptées par tous ; car chacun vit à sa manière sa relation avec Dieu. Une foi personnelle implique une Église pluraliste ; l'unité consiste à y faire attention les uns aux autres, à dialoguer; à se respecter et à s'aimer malgré les désaccords (et c'est loin d'être facile!), mais pas à être semblables, à rendre tout le monde uniforme.

 

Les théolo­giens du Process ne cessent de dire que Dieu agit par persuasion, jamais par contrainte ; il n'oblige pas, il essaie de convaincre.

 

Dieu agit parce qu'il aime les hommes, et respecte leur personnalité. Puissions-nous faire de même, et apprendre la véritable tolérance, qui n'est ni indifférence ni impuis­sance mais qui se fonde sur la conviction qu'il n'y a de foi authentique que personnelle.

 


 

*André GOUNELLE, pasteur, théologien et professeur de théologie systématique émérite à la Faculté de théologie protestante de Montpellier. Il est docteur honoris causa de l'Université de Lausanne (Suisse), ainsi que de l'Université de Laval (Québec); Chevalier de la Légion d'honneur, Chevalier des palmes académiques... Il est né le 9 mai 1933 à Nîmes. C'est un spécialiste de la pensée du théologien Paul TILLICH et un théologien très actif du protestantisme libéral francophone.

 

Ce texte est extrait de son essai sur le « Dynamisme créateur de Dieu, ou théologie du processus » (Études théologiques et religieuses, vol. 55,  2, 1980): La « théologie du process » (parfois francisé comme ici, « théologie du processus ») est une approche théologique du monde issue de la cosmologie découlant des acquis des sciences contemporaines de la nature, notamment la théorie de la relativité, la théorie de l'évolution biologique et la physique des quanta. Il s'agit d'une perspective critique élaborée à partir de la philosophie du processus du mathématicien et logicien Alfred North Whitehead (1861–1947) et développée par Charles Hartshorne et John B. Cobb au cours du XXe siècle.

 

De longue date, André GOUNELLE s'est engagé dans le dialogue inter-religieux. Au sein de « International Association for Religious Freedom », il est impliqué dans le dialogue avec des bouddhistes et des shintoïstes, et donne plusieurs conférences dans le cadre des Amitiés judéo-chrétiennes. Il a exercé également, tout au long de sa vie professionnelle, des responsabilités ecclésiales, siégeant notamment, pendant douze ans (1986-1998), au conseil national de l'Église réformée de France.

 

 


 

 



11/09/2017
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