POUR ÊTRE SOI IL FAUT PENSER CONTRE SOI-MÊME !
J’ai découvert Nathan DEVERS en décembre 2022 dans une émission de « Fréquence Protestante »
(cf. Enregistrement en vidéo de 60 minutes dans la Bibliographie en fin d'article...)
Nathan (Nathanaël en hébreu veut dire « il a donné ») DEVERS, de son vrai patronyme NACCACHE, (mais il préfère se présenter sous son nom de plume qu'il a choisi comme « venant de et allant vers » ce qui donne « DEVERS » !).
Je l’ai trouvé dans le même esprit de rébellion, de liberté et de vérité dont je témoigne dans la profession de ma foi, et sur la page d’accueil de ce site, dans l’attitude de Béatrice HALL à propos de VOLTAIRE.
J’ai déjà fait l’analyse de l’ouverture d’esprit de Delphine HORVILLEUR, quant à l'une des trop rares femmes rabbines françaises, dans son approche respectueuse de la vie et son humilité face à la mort lors de la parution de son essai intitulé « Vivre avec nos morts ».
Elle nous y affirmait que « nous sommes ce que nous faisons de notre naissance ». Nathan DEVERS ne déroge pas à la règle !
Delphine HORVILLEUR nous a clairement explicité ensuite sa sidération après le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 qui l’a poussé à écrire son dernier essai « Comment ça va pas ! ».
Nathan DEVERS, lui, a une démarche quelque peu différente, mais je tiens à la développer.
Nathan est un jeune Normalien, agrégé de philosophie, qui enseigne à Bordeaux, et qui a tout récemment fréquenté nombre de plateaux de télévision ou des émissions de radio à la suite de la parution de plusieurs de ses écrits.
Il m’a profondément touché lors de la présentation de son dernier essai intitulé « Penser contre soi-même » que j’ai acheté sans hésiter après son intervention dans l’émission de télévision « la Grande Librairie » sur la 5, le 29 février 2024.
Après un échange à ce propos avec mon ami Daniel SERIN, j’ai pensé qu’il serait utile d’en informer mes fidèles lecteurs et je ne peux que vous encourager à lire cet essai.
Nathan DEVERS nous avait régalé d’un entretien qui a précédé cette émission le 4 juillet 2023 sur la chaine vidéo « BRUT » et j’en ai retrouvé un large extrait que je viens de retranscrire noir sur blanc ci-après pour vous permettre d’accompagner votre propre réflexion.
Voici, mot pour mot, ce qu’y disait Nathan DEVERS :
Je cite : Bonjour, j'ai eu une enfance de juifs religieux, de juifs orthodoxes qui allait à la synagogue quasiment tous les matins, qui priait trois fois par jour, qui avait une kippa sur la tête, dedans, dehors, partout, qui avait des tsitsit*, qui étudiait le Talmud, la Bible continuellement, et surtout je voulais être rabbin, je voulais vraiment l’être, je me préparais à l’être, je donnais même des cours de religion de commentaires bibliques dans ma synagogue, et j’étais très heureux dans cette perspective et en fait à la fin de mon lycée juste avant de commencer mes études rabbiniques j’ai… je le dis en une phrase, mais « j’ai perdu la foi ».
* Les tsisit sont des fils accrochés de manière rituelle (avec cinq nœuds particuliers) aux quatre coins d’un vêtement couvrant le corps du petit garçon et de l’homme. En effet, il est écrit : « Qu’ils se fassent pour eux des fils aux coins de leurs vêtements » (Ancien Testament - Nombres versets 15 à 38).
Des tsitsit.
Tout s’est écroulé précisément par la découverte de la philosophie !...
Et donc j’ai vraiment rompu totalement avec la religion - pas avec le judaïsme - mais avec la religion, ça veut dire que j’ai tourné le dos à ma pratique, j’ai perdu mes amis.
Enfin j’ai vraiment fait une nouvelle vie, une nouvelle naissance et je me suis lancé dans les études philosophiques, dans la littérature, dans l’écriture, et donc précisément c’est ce que j’ai appelé « Penser contre moi-même » au sens extrêmement littéral, au sens véritablement incarné.
« Penser contre soi-même » c’est une éthique de vie, exactement, et cette éthique de vie c’est aussi que penser contre soi-même ça suppose - je pense très minimalement - de ne pas être dogmatique, en philosophie et ne pas l’être dans sa vie.
D’être à l’écoute des autres, ne pas s’opposer de manière stérile et ferme, à des discours, d’écouter ces discours, d’écouter leurs argumentations, d’accepter parfois d’être fragilisé par les discours des autres, d’être heurté.
« Penser contre soi-même », je dirai que c’est la définition même de la philosophie.
C’est un idéal qu’il est impossible à accomplir pleinement et à mon avis, il faut l’assumer comme tel, ce qui signifie d’ailleurs, c’est une bonne nouvelle pour la philosophie, que personne ne peut réussir à philosopher vraiment.
Moi, je n’ai pas choisi de naître le 8 décembre 1997, j’aurais pu naître 100 ans avant, 100 ans après, ou bien plus tard, je n’ai pas choisi de naître en France, et je n’ai pas choisi de naître dans telle ou telle famille, etc… et donc évidemment ma naissance, c’est ce qu’on appelle en philosophie « l’être jeté ».
Je suis jeté dans le monde, et jeté dans un point du monde, et le point par lequel je découvre le monde est évidement un point qui va véhiculer en moi un certain nombre de préjugés, de présupposés, de valeurs, de grandes idées que je n’ai absolument pas choisies qui sont relatives et qui auraient pu être tout à fait différentes si j’étais né en Inde il y a 800 ans.
Et donc, à partir de là, la tâche de la philosophie au sens professionnel du terme, mais même au sens où tout le monde peut philosopher, je pense que la philosophie est une démarche universelle : la tâche de la philosophie, c’est d’essayer de faire en sorte que sa pensée ne soit pas seulement un épiphénomène de sa propre naissance, de sa propre incarnation, et de son propre soi-même.
Donc c’est une expérience d’altérité, ça suppose de s’intéresser aux pensées des autres, de s’intéresser avec curiosité, de s’intéresser avec scepticisme avec une forme de doute.
« Penser contre soi-même » c’est un travail de tous les jours. C’est une tâche quotidienne, ça suppose de ne jamais vouloir bloquer, figer sa pensée, de ne jamais la transformer en dogme, de ne jamais la transformer en doctrine, de ne jamais la transformer en religion, mais d’essayer toujours de faire en sorte que la pensée soit dans un rapport de négation de soi à soi.
Et donc cette tâche-là, qui est une tâche à la fois extrêmement dure, et en fait extrêmement violente, ça suppose d’avoir un rapport de violence intellectuelle et en tous cas par rapport à soi-même, et de ne jamais s’asseoir, de ne jamais se complaire.
Quand on débat avec quelqu’un, quand on discute avec quelqu’un, est-ce que le but est d’avoir raison, d’écraser mon adversaire, de le torpiller et de me dire voilà, je l’ai éclaté, et je lui ai démontré qu’il avait complètement tort sur le modèle presque du combat de boxe, ou est-ce que le but est d’essayer de se rapprocher ensemble, à deux, de quelque chose qui s’apparenterait sinon à la vérité ou du moins à une pensée qui soit la plus construite, la plus complexe, la plus fiable, la plus à l’image de ce qu’on essaye de penser ?
Et ça, ça suppose, à un moment, au milieu du débat, à un moment de sa vie, de pouvoir dire, « écoute, non, j’ai tort, tu as raison, ton argument gagne ».
J’observe personnellement, que je vois rarement cela sur les réseaux sociaux ; qu’il y a des exceptions, mais que j’ai l’impression que ce n’est pas tellement ce qui est valorisé dans les espaces de discussion notamment au sens politique du terme qu’on observe sur les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux et plus largement la révolution numérique peut avoir comme effet – on reviendra peut-être sur les effets positifs de cette révolution numérique – mais peut avoir comme effet extrêmement dangereux de mettre en péril la démarche de « penser contre soi-même » avec ce fameux effet notamment de ce que l’on appelle « la bulle de filtres ».
Ça veut dire quand je vais sur Twitter, quand je vais sur Facebook, quand je vais sur Instagram, que le fil d’actualité qu’on va me montrer est un fil d’actualité qui est personnalisé alors naturellement en fonction des pages que je suis, et, souvent, les pages que je suis, par exemple pour les pages d’actualité correspondant à des médias correspondent à des médias dont j’ai envie de voir le contenu, donc des médias avec lesquels je suis plutôt d’accord, correspond avec les pages de ce que vont écrire mes amis, et c’est vrai que je peux avoir tendance à avoir des amis qui ont des affinités intellectuelles, idéologiques, culturelles, avec moi.
Et puis aussi l’algorithme, ça, ça dépend des réseaux, mais l’algorithme peut repérer les contenus sur lesquels je vais passer le plus de temps, les contenus qui m’intéressent, plus ou moins, etc… Ce qui fait qu’à la fin des fins, quand j’ouvre mon fil d’actualités, pour, par exemple, savoir ce qui s’est passé dans les 24 dernières heures sur Twitter, je ne vais voir du réel que ce que je veux en voir.
À partir du moment, où je vais avoir comme rapport aux réseaux sociaux, de me dire que ce que j’attends d’eux, ce n’est pas qu’ils m’informent, au risque d’ailleurs d’aller contre mes idées, de me faire un peu réagir, de m’étonner, de me choquer, etc… mais ce que je veux, c’est qu’ils viennent me confirmer ce que j’attends déjà de voir, qu’ils viennent confirmer la pré-idée que je me fais du réel et de ce qui se passe dans le monde, là où c’est dangereux c’est que nous assistons à un morcellement du réel.
Il y a difficulté supplémentaire aujourd’hui de l’engagement c’est-à-dire qu’il est difficile de « penser contre soi-même » à partir du moment où on dit qu’il y a des valeurs en fait, objectives, et que du coup, si on conteste ces valeurs-là, si « on pense contre soi-même » ça veut dire qu’en fait on a plus de valeurs.
Oui, c’est cette phrase qu’on entend souvent des gens qui disent « j’ai mes valeurs » et en disant ça, ils disent le contraire de ce qu’ils veulent dire, parce que quand on dit « j’ai mes valeurs » ça supposerait qu’il y a des choses, des idées, des principes, ce qu’on entend par là, des idées des principes qui seraient transcendants, qui seraient au-dessus de moi et qui seraient effectifs comme ça, qui pourraient régir toute mon existence, et en même temps, quand on dit que « j’ai mes valeurs » parce qu’ils seraient absolus et qu’en même temps on dit , c’est la grande question de Nietzsche, quelle est la valeur de mes valeurs ?
Et évidemment que la valeur c'est toujours quelque chose à quoi, moi, j'ai donné de la valeur, ou nous, collectivement, une époque, une société en milieu social, nous avons donné de la valeur à ceci ou cela.
Si je tiens le beau pour une valeur, si je tiens le vrai pour une valeur, si je tiens d'ailleurs l'amour pour une valeur, tout ça ne sont absolument pas des principes absolus, mais ce sont des choses dans lesquelles moi, j'ai décidé d'accorder de prêter précisément une valeur au sens la presque marchand du terrain et donc en effet cette notion de valeur me semble-t-il est absolument incompatible avec la pensée, avec le travail de la pensée, le travail de la pensée moi, je le définirais comme précisément une pensée qui ne se soucie pas des valeurs et qui ne se soucie pas ni des valeurs ni d'ailleurs des visions du monde qui essayent d'avancer.
Alors ça ne veut pas dire d'être danger de posture adolescente de dire je vais briser toutes les idoles moi j'ai aucune valeur dire que on a aucune valeur c'est déjà aussi affirmer une valeur une valeur inversée mais c'est aussi une valeur.
Mais en revanche penser sans se soucier de la valeur et des valeurs qu'on aimerait avoir parce qu'évidemment que les valeurs elles orientent la pensée elles orientent la réflexion donc je pense qu'il faut absolument se méfier des valeurs et que les gens qui disent qu'il faut défendre les valeurs ne comprennent même pas ce qu'ils disent et qu'en fait dire ça c'est presque l'inverse de ce qu'on croit dire.
BIBLIOGRAPHIE
Émission de radio « Fréquence Protestante » (sur FM 100.7) du 5 décembre 2022 : Entretien de l’animateur Philippe BILGER avec Nathan DEVERS enregistrée sur une vidéo YouTube de près d’une heure :
Interview de Nathan DEVERS sur « BRUT » (« média indépendant s'adressant aux jeunes gens partageant une vision progressiste de la société ») enregistrée sur une vidéo YouTube de 8 minutes le 4 juillet 2023 :
https://link.brut.live/BauY/mdytxw5l
Interview de Nathan DEVERS sur la chaîne « LCI » du 4 janvier 2024 : emission enregistrée en une vidéo de 13 minutes sur YouTube :
Émission de télévision sur la 5 « C à Vous » du 11 janvier 2024 : Un extrait de 8 minutes de l’intervention de Nathan DEVERS enregistrée sur YouTube :
Émission de la radio RCJ (Radio de la communauté juive sur FM 94.8) du 11 janvier 2024 : Entretien entre Nathan DEVERS et Émile Akerman, un jeune rabbin tête de pont de « l’orthodoxie moderne » (tradition juive autopraxe qui a évolué pour s’adapter à la vie occidentale – auteur d’un essai « N’oublions pas qui nous sommes ») :
Émission de télévision sur la 5 « la Grande Librairie » du 29 févr. 2024 : Un extrait de 3 minutes ½ de l’intervention de Nathan DEVERS enregistrée sur YouTube :