ESSAI SUR LE TEMPS PERDU QUI NE SE RATTRAPE JAMAIS

VIVRE INTENSEMENT !   

 

N’attendez plus pour faire vôtre cette maxime à la fois stoïcienne et épicurienne :

 

« Carpe Diem » !

 

 

Avec ce poème de Raymond QUESNEAU qui reprend le thème du Carpe Diem,

mettons-nous dans l'ambiance avec Juliette Gréco (en 1949 - 3 minutes)...

 


 

  

« Le temps perdu ne se rattrape jamais. »

 

Mais si l'on réfléchit sur le sens de la vie en se référant à Sénèque (1), on peut essayer de devenir maitre de son temps.

 

 

Après la rédaction de mon récent essai intitulé « CARPE DIEM ET LA MESURE DU TEMPS » (cf. rubrique « Techniques »), on peut se poser la question de savoir s’il y a un âge pour éprouver cette douloureuse impression que notre vie nous échappe…

 

Cela est probablement plus fréquent lorsqu'on avance en âge et que notre vie parait raccourcir de manière évidente. Pourtant, chacun d'entre nous a fait l'expérience de l'aliénation sociale : il faut se lever, travailler (un peu), patienter dans les embouteillages, subir la conversation sans intérêt de certains voisins, satisfaire tout un tas d’obligations dont on pourrait se passer...

 

Dans ces situations, chacun peut éprouver l'envie d'être libéré de ces contraintes qui vont de la nécessité de gagner sa vie à la simple politesse de circonstance.

 

Qui n'a pas rêvé - certains, dit-on, seraient même passés à l’acte - d'écraser sauvagement ce réveil à la sonnerie intrusive, d'abandonner sa voiture au beau milieu de cette route surchargée ou de signifier sans ména­gement à notre voisin que la vie de sa belle-sœur ne nous intéresse pas ?

 

Il est ici évident que notre temps est gaspillé par des obligations, des personnes qui, semble-t-il, nous empêchent de vivre ou, dans une moindre mesure, prennent du temps sur des choses qui pourraient être plus intéressantes, pour nous-même. N’ayons pas peur des mots, et ce n’est pas là de l’égoïsme !

 

 

C’est que le temps est notre bien le plus précieux !

 

Pourtant, et c'est là tout l'intérêt de la pensée du stoïcien Sénèque (1) dans son essai « De la brièveté de la vie », nous perdons souvent du temps de notre plein gré. 

 

Sénèque va nous aider à y voir plus clair !

 

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L'œuvre de Sénèque : édition en français de 1778...

 

Or, et ce n'est pas là la moindre des contradictions humaines, si nous sommes le plus souvent affectés par une perte matérielle, comme une perte d'argent ou d'un objet précieux, la perte de notre temps, notre bien le plus précieux, nous laisse la plupart du temps, indifférents.

 

Avant d'expliquer une telle aberration, Sénèque se fait un devoir de citer de très nombreux exemples, permettant à chacun d'entre nous de se retrouver : « Combien d'hommes ont mis ta vie au pil­lage sans que tu sentisses le prix de ce que tu perdais ; combien de temps t'ont dérobé des chagrins sans objet, des joies insensées, l'âpre convoitise, les charmes de la conversation ? (« De la brièveté de la vie » chapitre III).

 

« Examinez l'emploi que ces gens-là font de tout leur temps ; observez combien ils en perdent à compter leur argent, à tendre des embuches, à s'inquiéter, combien à rendre ou à recevoir des hom­mages obséquieux, [...] combien à donner des repas qui maintenant sont devenus des devoirs : et vous verrez que leurs maux ou leurs biens ne leur donnent pas le temps de respirer ! (chapitre VII).

 

Au chapitre XII, Sénèque pointe du doigt les personnes déraisonnablement soucieuses de leur apparence, « ceux qui passent tant d'heures chez un barbier pour se faire arracher le moindre poil qui leur sera poussé pendant la nuit, pour tenir conseil sur chaque cheveu […] ». Il déplore ceux qui préfèrent être « bien coiffés qu'hommes de bien ».

 

L’affaire est claire : les hommes perdent énormément de temps. Et alors, si cela leur convient ?

 

Si les stoïciens invitent à un changement en profondeur, un changement qui ne soit pas que cosmétique, c'est parce que Sénèque, en homme pragmatique, part du constat que les hommes se plaignent le plus souvent, à l'heure de mourir, de n’avoir pas assez vécu...

 

Il s'adresse ainsi à un hypothétique centenaire qui arrive au terme de son existence : « Quelle œuvre as-tu accomplie au cours d’une si longue durée, combien de gens ont pillé ta vie sans que tu sentes ce que tu perdais ? »

 

Sénèque conclut en assénant que, malgré son âge avancé, il meurt prématurément.

 

« La plus grande partie de la vie passe à mal faire. Une grande partie à ne rien faire. Toute la vie à ne pas penser à ce que l’on fait ! »

 

 

Vivre et exister ; deux vies différentes !

 

Il y a en effet plusieurs façons de vivre sa vie, comme il y a plusieurs façons de naviguer : un bateau peut parcourir peu de distance mais aller plus loin que celui qui fera des ronds dans l'eau des jours durant sans jamais sortir du port.

 

Ce dernier aura navigué plus longtemps, mais ne sera allé nulle part.

 

C'est là toute la différence entre vivre et passer le temps : on peut vivre très longtemps, ou plutôt exister très longtemps, mais ne pas avoir beaucoup vécu.

 

Dans tous les cas, et c'est là un propos qui peut choquer notre morale contemporaine, toutes les vies ne se valent pas, au sens où elles n'ont pas toutes eu la même intensité.

 

Pour le dire autrement, la vie n'est pas une affaire de quantité mais de qualité.

 

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le sage stoïcien n'hésitera pas à avoir recours au suicide s'il ne peut plus mener sa vie selon la sagesse, ou s'il estime être arrivé au moment où la sortie de scène devient nécessaire.

 

Si les hommes négligent ainsi de donner une consistance au seul bien qui est le leur, à savoir leur vie, c'est pour une raison très simple : nous oublions trop souvent que nous sommes mor­tels !

 

Nous vivons comme si nous ne devions jamais mourir. Il y a ainsi urgence à vivre car, comme le dit Heidegger, « dès qu'un homme nait, il est assez vieux pour mourir ».

 

Et en toute inconscience, nous remettons à plus tard, voire à très tard (comme à l'âge de la retraite), le projet de vivre enfin pour nous, de nous réapproprier notre vie, d'être libérés des exi­gences extérieures. Or quelle assurance avons-nous de parvenir à ce moment ? Aucune ! (là je fais fort, car, je suis à la retraite, depuis presque 20 ans !)

 

Si nous ne pensons pas au temps qui passe et qui ne revient jamais, c'est aussi parce que le temps est invisible. C'est un « incorporel », sa valeur reste abstraite: « On le demande comme s'il ne valait rien, on le donne comme s'il ne valait rien », affirme Sénèque (chapitre VIII).

 

Pourtant, rappelle-t-il, « personne ne te restituera tes années, personne ne te les rendra à nouveau à toi-même ».

 

Par ailleurs, les hommes sont moins dans le désir d'être avec un autre que dans l’impuissance de rester avec soi-même. Ils se noient dans les possessions et le tumulte des affaires ou de la fête. Or tout cela ne donne aucune consistance à une vie qui se perd dans l'agitation frénétique.

 

 

Mais alors, comment vivre intensément sans se tromper de voie ?

 

Sénèque ne nous incite pas à profiter de la vie au sens où on l’entend généralement, c'est-à-dire à se libérer des contraintes et à se livrer aux plaisirs qui se présenteraient. La solution qu'il propose est tout autre, et le chemin bien plus ardu, puisqu’il s'agit de disposer du temps et non de temps. Il faut rompre avec le mode de fonctionnement de la foule et se retirer en soi : « Retire-toi pour te vouer à des occupations plus tranquilles, plus sures, plus importantes » (chapitre XIX).

 

Si ces occupations sont plus tranquilles, ce n'est pas parce qu'elles seraient plus faciles, mais parce qu'elles sont très loin du monde agité des passions propres aux hommes qui se perdent dans la frénésie sociale. C'est aussi ce qui les rend plus sures : nous ne maitrisons pas le mouvement du monde, mais nos jugements sont en notre pouvoir. L'âme doit donc se convertir et se tourner vers elle-même pour se conformer à sa puissance rationnelle. Qu'est-ce à dire ?

 

 

Comprendre le Monde qui nous entoure

 

Il est un principe sans lequel tout cela reste incompréhensible : pour un stoïcien, l'homme est partie de la nature. En tant que telle, il se doit de vivre en accord avec elle, c'est-à-dire de perfectionner sa compréhension de ce qui est, de comprendre le monde, d'accentuer sa lucidité, afin de renforcer son ancrage dans la rationalité universelle et d'acquérir « une profonde tranquillité à l'égard du monde ».

 

Lorsque l'on sait ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, on ne perd pas son temps à déplorer ou à s'agiter en vain. Et vivre conformément à la nature, c'est aussi vivre selon sa nature, se conformer à soi-même et à sa puissance rationnelle. C'est en vivant selon la raison que l'on peut obtenir le plus grand bien et accéder au bonheur.

 

Il faudrait donc reprendre possession de soi-même en cherchant à com­prendre le monde, seul moyen d'être en harmonie avec la nature et d'acquiescer à son ordre.

 

Contempler la nature, la comprendre et agir en fonction d'elle, voilà le secret garanti d'une vie heureuse.

 

Par exemple, l'insensé, pris dans les passions et la toute-puissance de ses désirs, déplorera un évènement qui pourtant ne dépend pas de lui et envers lequel il est tout à fait impuissant.

 

Son exact opposé, le sage, vit en adéquation avec la nature universelle, son âme est en harmonie avec ce qui arrive. Il ne vit pas retiré du monde, il n'a pas renoncé à l'action, mais il porte un regard différent sur les choses. Vivre au présent, c'est donc déjà ne pas se laisser emporter par des évènements qui nous balloteraient sans que nous maitrisions quoi que ce soit ; c'est vivre pleinement ce qui arrive en le comprenant.

 

Le sage, en ce sens. vit vraiment plus intensément ; il ne dépense pas sa vie en occupations vaines. S’il est dans « l’otium », c’est-à-dire le loisir, ce n’est pas au sens de ce que l’on appellerait aujourd’hui le temps libre ou les loisirs.

 

Le loisir chez Sénèque, c'est le temps que l'on transforme en vie pleine et entière par des actions rationnelles.

 

 

Sénèque recommande aux hommes de se pencher sur leur passé et de dresser un bilan de leur existence.

 

L'un des moyens qu'il recommande est d'abord de faire un bilan de notre existence, un état des lieux, afin d'estimer où nous en sommes dans la prise de possession de notre vie.

« Comment ai-je vécu jusqu’à présent ? »,

« Ai-je utilisé mon temps à des choses vaines ou à la recherche de la vertu ? »

sont deux des questions que l'on peut se poser afin d'en tirer des leçons pour le présent et changer de direction si nécessaire et tant qu'il en est encore temps. La suractivité empêche ce retour sur soi pourtant nécessaire pour ne pas vivre à l'aveugle.

 

Ce rapport au passé se double d'une étude nécessaire de la philosophie : étudier les sages du passé, non dans une optique d'érudition, mais pour devenir meilleur et plus heureux, a pour effet que leurs années s'ajoutent aux nôtres. Leurs expériences pour peu que l’on se les approprie, permettent de dépasser les limites de notre propre vie.

 

La sagesse est en effet un bien qui ne diminue pas lorsqu’on le partage.

 

Ces tête-à-tête avec les sages du passé nous enrichissent, nous permettent de les rencontrer sur le terrain de la raison, de gagner en savoir-vivre et d’amplifier le temps. Grâce à l’attention portée à ce qui arrive et avec un esprit perpétuellement éveillé, le sage aura une relation au présent fort différente.

 

Loin de la suractivité stérile, le temps pourra être vécu plus intensément. Il pourra être dilaté par la connaissance des sagesses du passé, et il aura une véritable consistance, tout occupé à la recherche du bien et non gaspillé à brasser du vent.

 

Comme l'écrit Montaigne(2) dans les Essais (III, 13) : « j'aperçois ma vie si brève que je veux l'étendre en poids […] À mesure que la possession du vivre est plus courte, il me faut la rendre plus profonde et plus pleine. »

 

Ce qui est le possible bénéfice d'une conscience éveillée qui pense le bonheur dans la rationalité et non dans l'accumulation des plaisirs qui ont un effet néfaste, faire passer le temps mais sans que l'on ne s'en aperçoive.

 

 

Conclusion :

 

A 80 ans, j'ai donc décidé de ne plus m'en laisser compter et de reprendre le manche, et le gouvernail de ma propre vie...

 

N'est-ce pas un peu ce qu'inconsciemment, depuis plusieurs années, je viens de faire en créant ce site pour mieux me la réapproprier tout en faisant en sorte qu'elle n'ait pas été inutile en essayant de transmettre tout ce que j'ai pu en retirer.

 

Il est sûr que j'ai eu beaucoup de chance et que la nature, voire mes gênes m'ont doté d'un caractère optimiste; c'est un peu pour ça qu'en l'évoquant un soir de cet hiver avec Martine, mon épouse, j'ai décidé de prendre le recul necessaire pour ce faire.

 

Il est patent que la franc-maçonnerie m'a apporté beaucoup depuis prés de 35 ans, mais comme elle le dit si bien avec ses mots à elle, si en 35 ans tu n'es pas arrivé à te perfectionner comme l'entend la finalité de ton Ordre, crois-tu que tu y arriveras jamais?

 

Alors, avec Pierre de Ronsard, un contemporain de Montaigne, retenons ce sage conseil « Vivez si m'en croyez n'attendez à demain; Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie… ».

 

 


 

 

(1) SÉNÈQUE

 

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Sénèque (en latin Lucius Annaeus Seneca), est né dans le sud de l'Espagne à Cordoue (Andalousie), entre l'an 4 av. J-C et l'an 1 après J-C; il est mort, suicidé, le 12 avril 65 après J-C.

 

C’est un philosophe de l'école stoïcienne, un dramaturge et un homme d'État romain du 1er siècle. Il est parfois nommé Sénèque le Philosophe (et pour cause…), Sénèque le Tragique ou Sénèque le Jeune (pour le distinguer de son père, Sénèque l'Ancien).

 

Il vit sa jeunesse sous le règne des empereurs Auguste jusqu’en 14, puis de Tibère jusqu’en 37, il devient à 37 ans Conseiller à la cour impériale sous Caligula.

 

Puis il est envoyé en exil par son successeur Claude (probablement en Corse où, légende ou réalité, se trouve dans la vallée de Luri, une Tour sensée l’avoir abrité pendant son exil).

 

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La Tour Sénèque à Luri (au Nord du Cap Corse - Haute Corse)

 

Enfin, rappelé par Claude en 49, il est devenu le précepteur de Néron. Sénèque joue un rôle important de conseiller auprès de ce dernier avant d'être discrédité et acculé au suicide en 65.

 

Ses traités philosophiques comme « De la colère », « De la vie heureuse » ou « De la brièveté de la vie », et surtout ses « Lettres à Lucilius » exposent ses conceptions philosophiques stoïciennes.

 

Pour un « stoïcien », l’esprit doit volontairement adhérer à ce qui est bien, à ce qui est juste ou vrai. Le plaisir n’est pas forcément un bien et la douleur n'est jamais un mal.

 

Il est l’auteur d’une quantité de maximes très connues et souvent citées, parmi lesquelles :

 

      • Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles.
      • Si tu veux être heureux, être un homme libre, laisse les autres te mépriser.
      • Nous commençons à vieillir quand nous remplaçons nos rêves par des regrets.
      • En suivant le chemin qui s’appelle plus tard, nous arrivons sur la place qui s’appelle jamais !
      • C’est d’âme qu’il faut changer, non de climat.
      • La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est de danser sous la pluie.
      • Quand le soleil s’éclipse, on en voit la grandeur.
      • Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient.
      • Pendant que nous sommes parmi les hommes, pratiquons l’humanité.
      • La vie ressemble à un conte, ce qui importe n’est pas sa longueur, mais sa valeur.
      • Les misères de la Vie enseignent l’art du Silence.
      • La vie est une pièce de théâtre, ce qui compte ce n’est pas qu’elle dure longtemps, mais qu’elle soit bien jouée.
      • Étudie non pour en savoir davantage, mais pour mieux savoir.
      • Le sage sera maitre de son cœur, le fou en sera l’esclave.
      • La durée de ma vie ne dépend pas de moi, mais vivre pleinement ne dépend que de moi.
      • De même qu’avec une petite taille on peut être un homme accompli, une vie peut être brève mais accomplie.
      • Que je mène ma vie, mais que ce ne soit pas elle qui me mène.
      • L’âge fait partie des choses extérieures.

 


 

 

(2) MONTAIGNE (1533-1592)

 

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Cet homme de lettres humaniste a été Conseillé au Parlement de Bordeaux puis maire de la ville, mais il est surtout connu pour ses « Essais », parus en 1580.

 

Il y prône sagesse prudence, tolérance et doute, qui, en étant associés à l'observation et à l'expérience directe de l'environnement, seraient garants de vérité.

 

Son amitié avec Étienne de la Boétie n'a pas été longue, mais elle se résume en une phrase devenue mythique : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »

 


 



28/10/2016
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